Rencontre avec ACHE COELO, organisatrice du Fetcoum, 1er festival de courts-métrages à N'Djamena
Sociologue et réalisatrice, Ache Coelo a organisé la première édition du festival de courts-métrages Fetcoum, qui s’est tenu à N’Djaména du 20 au 24 juin 2018.
La manifestation a compris des projections, des formations à l’écriture et au jeu d’acteur, ainsi que des colloques autour de la production de films en Afrique et l’autonomisation économique de la femme dans la culture.
Comment l’idée du Fetcoum a-t-elle germé dans votre esprit ?
Ache Coelo : L’idée du festival a germé il y a quatre années quand je suis partie pour la première fois de ma vie à un festival de cinéma au Maroc et j’ai vu comment ce festival créait vraiment des échanges et du partage.
Je me suis dit qu’au Tchad on organisait des festivals mais sans drainer du monde à un niveau international, donc pourquoi pas initier quelque chose ? J’ai pensé aux courts-métrages pour concerner le plus possible les jeunes cinéastes tchadiens, leur permettre d’assurer la relève et les renforcer au contact des autres.
A-t-il été simple de motiver les partenaires et les participants ?
Ache Coelo : Simple et pas simple. Quand je suis allée voir la coopération suisse et l’ambassade de France, j’ai immédiatement eu un « Oui » sans même savoir quel était le budget.
Pas simple cela dit, parce qu’au niveau des partenaires locaux et nationaux, pour ceux qui ont l’habitude de soutenir la culture, ils ne comprenaient pas trop les enjeux de ce festival de cinéma. Même les opérateurs de téléphonie ont dit « Oui » et « Non » à la fois, donc c’était vraiment difficile. C’est ce qui explique que j’ai perdu beaucoup de temps, pendant une année, j’ai pensé qu’ils m’accompagneraient.
Etes-vous contente de cette première édition ?
Ache Coelo : Oui, c’est un pari assez inespéré, puisque c’est la première fois dans l’histoire du Tchad et du cinéma du Tchad qu’il y a plus de dix personnes qui viennent de l’étranger et surtout des personnalités. Elles sont venues pour la première fois, alors que la première édition aurait pu être un échec.
Comment arrivez-vous à combiner vos activités jumelées de réalisatrice et de sociologue ?
Ache Coelo : Après mes études de sociologie, je suis d’abord rentrée au Tchad travailler dans le milieu de la communication et du journalisme. Je travaillais surtout à la télévision, puis dans le secteur marketing, et depuis six ans, beaucoup plus dans le cinéma.
A chaque fois que j'identifie un problème, je le vois de manière sociologique – sans pratiquer en tant que tel.
Vous aviez déjà animé une émission sur les jeunes, « Place aux jeunes »…
Ache Coelo : Exactement. Je me rends compte que depuis que je suis rentrée au Tchad en 2008 je ne travaille que pour les jeunes et les femmes.
J’ai d’abord participé à la télévision à une émission qui cassait vraiment les codes, parce qu’elle permettait l’expression des jeunes et des adolescents à travers la danse. C’est toujours au niveau culturel que j’essaye de faire des choses. J’ai aussi fait une belle expérience à l’ambassade des Nations unies, où je me suis beaucoup rapproché des jeunes aussi. C’était très intense et très intéressant.
Comment l’envie de faire des films vous est-elle venue ?
Ache Coelo : Je viens d’une famille modeste et comme toutes les filles du nord (ndlr : nord du Tchad) et toutes les filles musulmanes, je ne sortais pas beaucoup. Je n’étais pas libre et toujours encasernée à la maison après l’école. Donc j’étais tout le temps devant la télé et ça me permettait de voir plein de films : j’accumulais et je n’arrêtais pas de comparer les films qui passaient à la télévision tchadienne et sur les chaînes étrangères, et je crois que c’est pour cela qu’aujourd’hui je mets autant d'énergie à promouvoir le cinéma tchadien pour que nos films soient aussi beaux que ceux des autres pays. Puis j’ai réalisé deux courts-métrages.
Pouvez-vous nous parler d’ « Entre quatre murs », projeté pendant le festival ?
Ache Coelo : En une nuit j’ai écrit le scénario et c’était mon rêve. Je me suis lâchée, parce que j’ai parlé de mes propres problèmes quand j’étais adolescente : vouloir sortir… Pas la partie avec le petit copain hein (rires), j’ai dû mettre un peu de fiction ! Mais c’était ma propre histoire derrière : cette envie, cette soif de vivre… ne serait-ce que pour voir des amies. Les stéréotypes pensent que c’est uniquement pour voir un copain…
A cause d’un trop grand nombre de connotations et de facteurs socio-culturels, la jeune fille reste souvent à la maison. J’ai endossé ça, ça été lourd pour moi et ça m’a vraiment aidé à le retranscrire dans un scénario et dans un film. De nombreuses filles qui voient le film se l’approprient et disent : « Je me retrouve quelque part dans ce film. »
Pouvez-nous parler également de votre deuxième court-métrage ?
Ache Coelo : Je l’ai fait, je reconnais, un peu « à l’arrache ». Je voulais davantage m’intéresser à la technique, mais peut-être le scénario était-il trop faible, je ne sais pas, mais je reconnais aussi que je n’ai eu que deux jours pour le tournage, je travaillais à l’ambassade des Nations unies à ce moment-là, donc c’était vraiment difficile de gérer les deux. J’avais aussi très peu de moyens.
En tout cas ce film parle une fois de plus des jeunes filles qui ont du mal à s’exprimer, à vivre librement. Aujourd’hui quand je dis « Je veux faire du cinéma », ma famille ne comprend pas. J’ai fait quatre ans d’études, j’avais un très bon emploi et j’arrête tout pour faire du cinéma.
L’incompréhension des familles face à ce genre d’ambitions est un constat qu’on peut faire à grande échelle et beaucoup de jeunes filles n’osent pas casser les codes comme moi, faire de la musique si elles veulent faire de la musique, parce qu’elles ont peur de ce que la famille va dire.
Le court-métrage parle d’une jeune fille qui veut faire de la musique. Le père veut un peu soutenir, mais il est à l’agonie, et l’oncle est conservateur et il est contre. Ca permet donc de montrer le couteau à double-tranchant quand il s’agit de l’émancipation de la jeune fille.
Vous avez également travaillé avec Salma Khalil sur le projet des cent femmes tchadiennes émancipées… Elle a réalisé les photos et vous les textes…
Ache Coelo : On déjeunait avec Radhia Oudjani de l’ambassade de France et on se disait « Qu’est-ce qu’on peut faire sur les femmes ? ». Il se trouve qu’à la télé ou dans les journaux à chaque fois ou presque on ne parle que des femmes en politique. Rares sont les femmes mises en avant qui ne font pas forcément de la politique, donc on a voulu faire ça.
J’ai appelé Salma Khalil pour faire les photos, elle a accepté avec plaisir, et ça a représenté pour nous une année et quelques mois de travail pour aboutir aux portraits des cent six femmes tchadiennes qui nous a apporté, il faut le reconnaître, une grande notoriété.
Salma Khalil et Ache Coelo, les deux co-auteures de l'ouvrage " Portraits de femmes tchadiennes "
ZOOM
Les projets artistiques en cours d'Ache Coelo
Ache Coelo : En lien avec l’Association tchadienne des cultures mixtes, j’aimerais chercher des fonds à l’international pour aider les jeunes et les autres.
Ensuite j’ai deux projets de films : le premier est un court-métrage qui parle des filles de joie et des problèmes que les jeunes filles ici ont en commun.
Le deuxième est un documentaire. Ca devait au départ être un essai sociologique et j’y travaille depuis deux ans en glanant des informations à gauche et à droite. C’est un documentaire sur la sexualité au Tchad.
Propos recueillis par Matthias Turcaud le vendredi 23 juin 2018 à N’Djaména à l’hôtel Radisson Blu.