TAZZEKA, voyage clandestin et culinaire d'un village marocain à Paris
Parti du village marocain Tazzeka tenter l'aventure à Paris, le jeune Elias sera sauvé par l'amitié et sa passion pour la cuisine.
Élevé par sa grand-mère qui lui transmet le goût et les secrets de la cuisine traditionnelle, Elias grandit au cœur d’un village marocain.
Quelques années plus tard, la rencontre avec un grand chef cuisinier parisien et l’irruption de la belle Salma dans son quotidien va bouleverser sa vie et le décider à partir pour la France…
À Paris, Elias fait l’expérience de la pauvreté et du travail précaire des immigrés clandestins. Il découvre aussi les saveurs de l’amitié grâce à Souleymane, qui saura raviver sa passion pour la cuisine.
Entretien avec Jean-Philippe Gaud, scénariste, réalisateur et co-producteur du film Tazzeka (sortie en salles le 10 octobre 2018).
Quelle est la genèse de Tazzeka ?
Jean-Philippe Gaud : Tazzeka est né du désir de concevoir un film qui puisse parler des questions d’immigration en proposant, par des touches d’espoir, une approche moins dure et dramatique que ce qui fait généralement la une de l’actualité. Le pari du film était d’avoir un ancrage dans le réel sur un ton léger.
La volonté de traiter ce sujet trouve ses racines dans l’incendie qui s’est produit dans le 9e arrondissement de Paris, en 2005, où étaient logées des familles africaines sans-papiers. Dix enfants y ont perdu la vie. L’un d’eux était dans la maternelle de mon fils, où j’avais tourné l’année précédente Au quotidien, un documentaire faisant le portrait de cette école dans le quartier de « la Goutte d’or ».
Ce choc profond reste encore ancré dans ma mémoire. Pendant le tournage du documentaire, j’avais été confronté à la précarité de ces familles, logées dans des chambres d’hôtels vétustes, payées au prix fort. Je voulais parler de ces clandestins qui viennent en Europe chercher l’Eldorado promis par la vision souvent tronquée qu’ils perçoivent depuis leur terre natale.
Comment avez-vous élaboré le scénario ?
Jean-Philippe Gaud : Mon travail d’écriture est toujours lié à une plongée dans le réel : j’ai besoin d’observer, de communiquer et de recueillir des témoignages. Tazzeka n’échappe pas à cette règle ; le développement de l’écriture s’est ancré dans cette confrontation au réel pour devenir de la matière fictionnelle.
J’ai amassé un nombre considérable de documents : œuvres littéraires, récits et témoignages, reportages sur le sujet de la clandestinité, mais aussi recettes de cuisine, émissions culinaires...
Pourquoi avoir choisi de démarrer l’histoire au Maroc, à Tazzeka ?
Jean-Philippe Gaud : Le Maroc s’est imposé à moi pour des raisons très personnelles qui sont liées à ma culture, enracinée dans le bassin méditerranéen. Je suis parti faire des repérages au Maroc pendant l’hiver 2011, pour voir si je pouvais en tirer de la matière pour l’écriture. J’avais déjà en tête une idée assez précise du décor que je voulais pour le film.
Au bout d’une semaine de repérages, j’ai découvert un village dans la vallée de Tazzeka. C’était clair que le film devait commencer ici et nulle part ailleurs. Je ne voulais pas d’un paysage urbain, ni surtout tourner à Tanger ou Casablanca. Je voulais une coupure franche entre les deux mondes que le détroit sépare.
Par ailleurs, au-delà du fait qu’il s’agit d’une culture qui m’est plus familière, je ne voulais pas que le héros principal du film ait un passé trop lourd, comme cela peut être le cas pour les Africains ou les Syriens qui fuient la misère et la guerre. Un pays francophone comme le Maroc, me paraissait plus pertinent pour affronter la question du rêve occidental, de ce fameux Eden.
Il y a donc deux parties bien distinctes dans le film ?
Jean-Philippe Gaud : Oui, il se compose de deux parties bien distinctes, néanmoins fortement liées par le ton de la comédie dramatique. Tazzeka commence comme une chronique villageoise, où la simplicité de l’enjeu l’emporte sur la dramatisation de la narration. C’est le début des années 2000 et l’avènement des tragédies des naufragés du détroit de Gibraltar. L’histoire du frère d’Elias est là pour témoigner de cette période où l’inconscience et l’espoir l’emportaient sur la réalité de cette effroyable traversée. On a recensé des centaines de morts durant cette année 2000, mais une décennie plus tard rien n’a encore dissuadé ces candidats au départ.
Pour Elias, la rupture avec le Maroc est brutale. Nous le retrouvons à Paris, plongé dans le dénuement des travailleurs clandestins : il est passé en quelques mois d’un garçon candide à un homme qui guette la moindre descente de police.
Si la deuxième partie du film est plus dure et chaotique, elle ouvre aussi sur un espoir avec l’amitié entre Elias et Souleymane. Il était important pour moi que Tazzeka soit une fiction qui soulève certains points sociaux, tout en restant un film pour le plus grand nombre. À la fin du film, cette trajectoire narrative apparaît comme un conte. Celui que l’on raconte dans les villages du continent africain sur ceux qui sont partis pour assouvir leurs rêves, et qui ont réussi à forcer leur destin.
Le film n’est donc pas tourné comme un drame…
Jean-Philippe Gaud : Dès la naissance du scénario, mon désir était de rester sur la lisière entre le drame et la comédie. Je ne souhaitais pas être sur un mode tragique de bout en bout du projet. Tazzeka s’attache à montrer la part d’humanité dans chaque personnage et dans certaines situations.
De ce point de vue, la cuisine est un élément moteur qui permet de pouvoir toucher de façon plus légère un sujet aussi sensible. Je voulais que la caméra montre de façon « gourmande » l’élaboration des plats réalisés par Elias, dans le but de faire partager au spectateur ces moments de plaisir. La cuisine était déjà le thème central de mon premier court-métrage Mabrouk Moussa - une comédie douce-amère dont le héros est un plongeur africain qui va devenir le chef d’un soir… J’ai tourné ce film dans le restaurant de ma tante où j’ai pu m’imprégner pendant des semaines de l’atmosphère des cuisines. J’ai observé les rapports humains entre les différents postes de travail afin de disséquer ce microcosme, pour partir d’une base très documentée, et lui donner ensuite le ton de la comédie. Et puis je suis fan d’émissions de cuisine à la télévision…
En faisant des recherches sur les grands chefs, j’ai remarqué que le rapport à la grand-mère est un élément fondateur récurrent. C’est pour cela qu’Elias tient sa passion pour la cuisine de son aïeule.
Tazzeka est un film qui s’attache à l’humain en racontant l’histoire d’un jeune garçon talentueux entrainé malgré lui dans la spirale de la clandestinité. Il en sortira grâce à son don si particulier, mais aussi grâce à la solidarité et l’amitié de Souleymane. Dans cette optique, il était important que la fin du film assume totalement l’ouverture d’espoir et de réussite pour le héros, qui trouvera une place dans cette société.
Comment avez-vous élaboré votre casting ?
Jean-Philippe Gaud : J’ai mis beaucoup de temps à trouver le personnage d’Elias : j’ai rencontré des dizaines de comédiens avant de tomber sur la photo de Madi. J’ai immédiatement eu le sentiment de l’avoir trouvé, c’était le visage que je cherchais ! Je l’ai ensuite vu dans Le Convoi de Frédéric Schoendoerffer. Il était remarquable, sa prestation a confirmé mon intuition.
Adama Diop qui incarne Souleymane, c’est d’abord une voix Mariannick Bellot, qui a collaboré au scénario, m’a suggéré de le rencontrer car elle avait travaillé avec lui sur des fictions radio. Acteur de théâtre, je l’ai vu dans 2666 de Julien Gosselin au Festival d’Avignon, dans un rôle époustouflant, interprété en langue anglaise.
Quant à Ouidad Elma, je l’ai découverte dans le film Love in Medina au Cinemed de Montpellier en 2012, l’année où je présentais le projet de Tazzeka à la Bourse d’aide au développement. Elle a tout de suite adhéré au projet et a même participé à l’élaboration de son personnage.
Un tournage en équipe réduite, était-ce la clef du tournage à Paris ?
Jean-Philippe Gaud : Tous les extérieurs parisiens ont été tournés en équipe ultra-réduite dans les conditions du documentaire. La séquence du marché à Barbès en est la parfaite illustration. Nous étions quatre personnes : le chef opérateur, l’ingénieur du son, l’assistant réalisateur et les deux acteurs. Ce dispositif nous a permis de nous fondre dans ce marché grouillant et gigantesque.
Il y avait dans tous les extérieurs une sorte d’urgence à filmer pour apporter le plus d’aspect réaliste aux séquences de rues, comme celle de la rencontre entre Elias et Salma.
Le film est-il sorti au Maroc ?
Jean-Philippe Gaud : Non pas encore. Il devrait sortir en même temps qu’en France.
Quels sont vos projets ?
Jean-Philippe Gaud : J’en ai plein ! Je suis en phase d’écriture…. Mais j‘aimerais changer de registre. Pourquoi pas un drame ?
ZOOM
Tazzeka, un film entièrement financé sur des fonds privés
Jean-Philippe Gaud :Tazzeka est une production atypique dans le paysage cinéma français… Après une première collaboration avec une société de production, j’ai décidé de reprendre la main et de créer ma propre société de production, Takka Films, en 2015 avec Axelle Hutchings. Le film a été entièrement financé sur des fonds privés. Nous avons réussi à convaincre des investisseurs, hors des circuits de l’industrie cinématographique, en allant voir des personnes passionnées de cinéma qui ont cru en notre projet.
Nous avions besoin d’un partenariat fort pour la réussite du tournage au Maroc, cela a été possible grâce à Mohamed Nadif, producteur marocain, qui s’est impliqué en devenant coproducteur du film. Au printemps 2016, nous avons démarré le tournage de la partie marocaine dans la région de Chefchaouen, au nord-ouest du pays, pendant 12 jours.
Sitôt rentré en France, je me suis mis au montage pour en tirer une version de 55 minutes. Avec ce premier montage, nous avons repris notre bâton de pèlerin pour refaire un tour des investisseurs à la recherche du budget afin de tourner la partie Paris. Le budget a été bouclé en mars 2017, ce qui nous a permis de lancer les dix jours de tournage sur Paris.
Matthias Turcaud