Sosthène Mbernodji : Je suis le secrétaire exécutif de l’association des écrivains et auteurs tchadiens ; je suis par ailleurs chroniqueur à Radio FM Liberté et anime, depuis bientôt dix ans, l’émission intitulée « Café littéraire » qui passe tous les mardis de 20h30 à 21h30.
En quoi ton travail pour l’émission « Café littéraire » consiste-t-il ?
Sosthène Mbernodji : Mon travail au sein de l’émission consiste à présenter les auteurs tchadiens et leurs ouvrages dans leur contenu, leur intrigue et le message transmis, tout cela pour susciter le goût de la lecture auprès du public et en même temps faire connaître de nouveaux auteurs. On participe ainsi à la promotion de la langue française, ainsi qu’à l’enracinement et à la promotion de la littérature tchadienne.
Comment l’émission se déroule-t-elle ?
Sosthène Mbernodji : Je lis le livre concerné et propose à son auteur un protocole de questions. L’invité prend connaissance de ces questions et on monte à l’antenne. On intercale des lectures d’extraits, faites par l’auteur, par moi-même ou par un tiers - tout cela encore une fois pour promouvoir et célébrer la langue française.
Et au sein de l’association ?
Sosthène Mbernodji : L’association est un cadre. Il faut encadrer notre passion pour la littérature et l’écriture. Au sein de cette association, on a également un festival de littérature qui se tient tous les ans ici. Il s’intitule « Le souffle de l’Harmattan » et tire sa dénomination du roman de Baba Moustapha, dont le nom est donné à une maison de la culture à N’Djaména. C’est une rencontre annuelle des auteurs tchadiens, et on invite également des auteurs étrangers, par exemple camerounais. On prépare actuellement la cinquième édition du festival qui se tiendra en décembre prochain.
Des thèmes communs se laissent-ils remarquer chez ces auteurs ?
Sosthène Mbernodji : Pendant longtemps nos classiques ont écrit sur la guerre et la nation tchadienne. Aujourd’hui les jeunes abordent des thématiques contemporaines, par exemple les problématiques de l’emploi, les problèmes liés à la dégradation de l’environnement, le sida.
L’autrice Mamadjibeye Nako a écrit une pièce de théâtre sur le chômage qui frappe les jeunes de manière implacable. On peut citer également le professeur Avocksouma qui a écrit sur l’éducation, le fait qu’on veuille que nos enfants exercent le même métier que nous. On peut lui donner des outils, mais il faut lui laisser la latitude nécessaire pour qu’il puisse choisir lui-même son emploi et la profession qu’il veut exercer.
Le problème de la cohabitation pacifique est traité, mais aussi la politique de la France envers le Tchad. Beaucoup de Tchadiens accusent directement la France pour un bon nombre de leurs problèmes. Pour eux c’est l’instigateur principal de leurs maux. A cause de l’intégrisme religieux et du terrorisme dans le Sahel, la France soutient Idriss Deby, qui, avec sa politique, essaye de mettre les Tchadiens au rouleau compresseur voilà maintenant 28 ans. On retrouve ce questionnement sur la politique africaine de la France dans plusieurs écrits.
Le succès rencontré par le festival littéraire « Le souffle de l’Harmattan » démontre l'engouement des Tchadiens pour la littérature.
Ce sont autant de thématiques, traitées de plus avec une plume acerbe, ce qui peut expliquer que le ministère de la culture ne les soutient pas. On déplore que le service culturel de l’ambassade de France ne nous soutient pas, malgré nos 62 auteurs et le monde fou qu’il y avait à notre festival. On a l’impression qu’ils sont sectaires et on espère que ça va s’améliorer.
Qu’est-ce qui donne envie aux jeunes d’écrire ? En l’absence d’école d’écriture, qui est l’instigateur de cette envie ? Un professeur de français, un parent, un ami, un écrivain ?
Sosthène Mbernodji : Le plus souvent il y a des ateliers d’écriture qui s’organisent de manière épisodique. Les jeunes y prennent part. Ils ont un engouement, ils veulent extérioriser ce qui sommeille en eux. Leur talent dort, ils sont dans l’anonymat. Ils veulent dire ce qu’ils pensent au fond d’eux-mêmes, mais n’en ont pas les possibilités.
De temps à autre on organise donc des ateliers où on invite des doctorants, des professeurs de littérature. Le milieu éducatif en état de déliquescence, le chômage, la mauvaise gouvernance : autant de problèmes qui choquent les jeunes et leur donnent envie d’écrire. On va avoir 20 participants pour un atelier d’écriture.
ZOOM
Le festival « Le Souffle de l’Harmattan », créé par Sosthène Mbernodji
Sosthène Mbernodji : On passe trois jours à débattre, à présenter des livres… C’est une sorte de forum du livre.
Le problème crucial, le goulot d’étranglement majeur chez nous est la désaffection des jeunes pour la lecture, les jeunes ne lisent pas et le niveau d’expression et de langue baisse. Un des objectifs principaux du festival est de leur donner le goût de la lecture.
On peut se souvenir que Victor Hugo avait douze ans quand il a dit « Je veux être Chateaubriand ou rien ». Il avait comme modèle Chateaubriand et il a été plus grand que Chateaubriand.
Le problème au Tchad aussi c’est qu’on manque de modèles de réussite. On a cela dit, à l’extérieur, des auteurs qui ont de belles plumes : Nimrod, à Paris ; Noël Nténonon Ndjékéry qui vit à Genève ; Koulsy Lamko qui vit au Mexique.
Ici on peut citer Souleymane Abdelkerim Cherif qui a écrit un bon polar – Quand l’évidence ne suffit plus, l’essayiste Beral Mbaïkoubou, Ahmad Taboye le professeur de littérature qui écrit aussi… Des jeunes avec du talent émergent également.
Propos recueillis par Matthias Turcaud à Radio FM Liberté, à N’Djaména, quartier de Chagoua, le 24 mai 2018