Souleymane Salomon Bombaye : " L’AFRIQUE A UN FORT POTENTIEL PHOTOGRAPHIQUE"
Entretien avec le photographe tchadien Souleymane Salomon Bombaye à l'occasion de l'exposition de ses photos « Autour de la musique ».
Formé en Allemagne, le photographe tchadien Souleymane Salomon Bombaye a déjà exposé à Montréal, Francfort et dans plusieurs villes d’Afrique.
Il est présent dans la capitale tchadienne pour sa première exposition à l’IFT et à N’Djaména.
Comment l’envie de devenir photographe vous est-elle venue ?
Souleymane Salomon Bombaye : J’ai fait une rencontre décisive en 1976. Un monsieur qui avait un studio m’a prêté son appareil, le goût de la photographie est arrivé à ce moment-là.
Plus tard j’ai étudié en Allemagne. J’ai suivi une formation en alternance à Francfort : des cours de mécanique et à côté de photographie. Cela aurait été plus raisonnable de faire de la mécanique et d’ouvrir un atelier, mais je me passionnais de plus en plus pour la photographie. J’allais à Kassel ou à Berlin pour aller voir une exposition. Ca m’a coûté beaucoup d’argent, mais je prenais des films périmés, je savais m’en sortir avec peu.
Pouvez-vous nous parler de vos études en Allemagne ? Comment cela s’est-il passé pour vous ?
Souleymane Salomon Bombaye : J’ai fait ma scolarité en Allemagne : un bac technique à la « Realschule » (école technique), une école de mécanique industrielle ou « Fachoberschule für Maschinenbau. » On ne m'a pas fait de cadeau, je n’étais pas un fils à papa. En Allemagne, j’étais le seul noir, mais ça s’est bien passé. J’ai appris la langue, je me suis vite intégré, j’ai fait également du judo et je suis devenu un maître en cette discipline. Un de mes fils s’appelle Irano en hommage à mon maître.
Qu’est-ce qui vous plaît dans la photographie ?
Souleymane Salomon Bombaye : C’est pour moi un outil d’expression très puissant et un langage accessible à tous. Un Japonais peut comprendre les photos d’un Tchadien.
Qu’aimez-vous photographier ?
Souleymane Salomon Bombaye : J’ai tout d’abord commencé par des portraits, des plantes, des natures mortes, des motifs très techniques. On est amené en tant que photographe à toucher un peu à tout, à la mode aussi. Avec le temps on trouve ce qu’on a envie de photographier. A Francfort j’ai fait beaucoup de photos industrielles : des ponts, des chemins de fers ; des photos de mariage aussi. Une dame sur un vélo et le monsieur derrière… En Europe il y a une liberté et une absence de restrictions qu’on peut apprécier.
Je m’intéresse maintenant surtout aux portraits. J’aime faire des photos expressives avec des personnes charismatiques. Ce n’est pas facile cela dit d’être portraitiste, surtout aujourd’hui. Avec la vulgarisation liée aux smartphones, n’importe qui peut prétendre à ce statut.
Comment se porte la photographie au Tchad ?
Souleymane Salomon Bombaye : La photo au Tchad est malheureusement restrictive et souvent mal interprétée. On ne peut pas photographier comme on veut. Une fois qu’on demande, ce n’est pas la même photo, et les gens peuvent avoir peur qu’on veuille leur « voler leur âme ».
Ce n’est pas comme au Mali ou en Côte d’Ivoire ; ici peu de gens arrivent à comprendre la photo. Quand on n’apprend pas la photographie dans un institut ou une école, c’est compliqué. La photo au Tchad relève du consommable. On en réalise pour des mariages, des baptêmes, des séminaires… Cela permet au photographe de se faire de l’argent de poche, mais qu’en reste-t-il sur la durée ? Le photographe au Tchad est en général considéré comme un raté. Je ne pense pas que beaucoup de parents veulent que leur enfant devienne photographe. La photographie artistique n’est pas comprise. On se demande à quoi ça sert, on ne comprend pas ce qu’est l’art. L’art ici est un sujet tabou. On ne gagne pas sa vie avec.
Cela dit, l’Afrique est riche en couleurs et en images. Elle a un fort potentiel photographique. La lumière est très belle, on est beaucoup moins soumis aux aléas de la météo qu’en Allemagne. Il y a tellement de scènes et de situations ici...
La mentalité peut-elle changer à votre avis au Tchad ?
Souleymane Salomon Bombaye : C’est une question de temps. La situation économique pose aussi problème. Quand vous voulez faire de la photographie, il faut un minimum de moyens : ne serait-ce que pour acheter un appareil, une carte mémoire, un ordinateur… Si on organise des symposiums et des semaines de la photo, les gens peuvent peut-être découvrir la photographie et s’y intéresser. Même en Europe beaucoup de gens ne vont jamais dans les galeries, c’est trop abstrait pour eux. Ce serait une bonne chose que de familiariser les gens à la photographie, avec l’IFT, la maison Baba Moustapha, le centre Al-Mouna, les hôtels ...
De mon côté je forme des photographes ; j’ai travaillé aussi avec National Geographic au Tchad. Avec le Centre de jeunes évangéliques on est parti à Rostock. Il n’y a pas de frontières en photo.
Certains photographes africains vous ont-ils inspiré ?
Souleymane Salomon Bombaye : J’aime Seydou Keita et la simplicité dans la pose de ses modèles. J’ai un livre avec ses photos et j’y jette un œil de temps en temps ; Malick Sidibé également. Il faut rendre aussi honneur aux aventuriers qui ont découvert leurs clichés.
Et le Tchadien Abdoulaye Barry ?
Souleymane Salomon Bombaye : Je connais certains de ses travaux et les apprécie.
Comment procédez-vous pour prendre une photo ?
Souleymane Salomon Bombaye : Il faut chercher le bon moment. Pour un portrait, je parle avec la personne, on s’entretient longuement, je la mets dans de bonnes conditions, je commence déjà à faire des photos. Je travaille en studio, mais aussi avec de la lumière naturelle. Ca peut prendre des semaines, même des mois. Il est important de s’inspirer des autres photographes. Richard Avedon, avec ses grands formats en noir et blanc qui vous absorbent, a été important pour moi.
Comment définiriez-vous une bonne photo ?
Souleymane Salomon Bombaye : Une photo doit parler d’elle-même : son contexte, son milieu, ce qu’elle exprime. On ne doit pas avoir besoin de la commenter. Je pense à la photo d’un petit enfant syrien prise par Alan Kurdi sur l’île de Lesbos en Grèce: j’ai des difficultés à la regarder, mais elle est intéressante, elle martèle une histoire et une situation. Une belle photo n’est pas toujours claire. Elle peut être floue ou ratée. Il m’est arrivé de vouloir une tâche et de souffler, pour avoir un effet de brouillard ou de rosée.
Qu’est-ce qu’une photo peut selon vous apporter ?
Souleymane Salomon Bombaye : Ca peut changer la manière de voir et de concevoir les choses, ainsi que ses idées. Si on prend le photographe italien Oliviero Toscani et ses photos provocatrices : une nonne qui embrasse un évêque, un enfant blanc qui téte le sein d’une femme noire…
Les gens pensent souvent qu’il faut être habillé de telle ou de telle manière pour être photographié. Quand une femme me dit « Je suis mal habillée, arrête de me photographier », je lui dis « Non, c’est bon ». En Europe les jeunes filles pensent souvent qu’il faut qu’elles soient minces ou maigres pour être photogéniques. J’aime bien photographier les femmes rondes en ce qui me concerne ; ça exprime une douceur, une simplicité, une tranquillité aussi.
Pouvez-vous nous parler de votre exposition à l’IFT ?
Souleymane Salomon Bombaye : C’est une exposition qui s’appelle « Autour de la musique », composée de vingt-cinq photos de musiciens et de non-musiciens liés à la musique. J’ai également voulu valoriser des instruments spécifiques, mettre en lumière le contexte. On n’était pas à Paris ou à New York, mais à N’Djaména, et j’ai voulu que cette référence soit visible. Ce sont des photos qui m’ont fait plaisir. J’ai pu prendre en photo un ami d’enfance aussi…
C’est ma première exposition à l’IFT et je suis très content de cette opportunité. J’ai exposé déjà à Montréal et à Francfort entre autres, ça m’intéresse à présent d’exposer ici. Je suis très content de continuer à faire de la photographie. L’IFT est un coin de repères très positif et un point focal pour les artistes. J’apprécie leur travail, les conseils, les collaborations. Pour ce projet des artistes français sont également venus travailler autour de la musique tchadienne - Florent de la Tullaye, co-réalisateur du documentaire Benda Bilili ! et Vladimir Cagnolari, chroniqueur sur RFI.
Aviez-vous une technique particulière pour prendre ces photos en scène ?
Souleymane Salomon Bombaye : J’étais concentré sur tout ce qui se passe sur scène. Avec le temps je sais où me positionner. Ca devient une routine positive. Je sais ce que je veux avoir, je patiente, j’attends. On attend le bon moment, la bonne situation, et on fait ce qu’il faut pour l’obtenir. Parfois ça réussit et ce sont d’agréables surprises.
Certaines de vos photos sont en couleur, d’autres en noir et blanc. Quand choisissez-vous l’un ou l’autre ?
Souleymane Salomon Bombaye : Quand j’ai une personne charismatique en face de moi, j’ai tendance à prendre le noir et blanc, qui cristallise tout – les rides, etc. Certains motifs se prêtent davantage au noir et blanc, d’autres davantage à la couleur. Aujourd’hui on peut ajuster : noir et blanc, sépia… Une image faite en noir et blanc, on peut la transformer en couleur. Devant son ordinateur, on peut faire tout ça, ce n’est pas polluant. On a toutes ces possibilités, mais qui maîtrise tout cela ? Il y a des photos que j’aimerais avoir en sépia, d’autres en couleur ou noir et blanc, mais peu importe. En photographie, vous n’avez pas de règles, on peut couper, coller, monter, inverser… Vous n’avez pas de critères spécifiques.
Est-ce un problème pour vous, le fait qu’aujourd’hui tout un chacun peut devenir photographe en un claquement de doigts ?
Souleymane Salomon Bombaye : C’est sûr que ça a beaucoup changé. Aujourd’hui vous avez une masse digitale de photos, alors qu’avant tout c’étaient des rouleaux de film de 24 poses. Maintenant les photos peuvent facilement être manipulées, grâce à Photoshop…
Avez-vous eu beaucoup de succès ?
Souleymane Salomon Bombaye : Ce n’est pas toujours la vente qui compte. C’est le feed-back ; certains souvenirs aussi. Il y avait en Allemagne une vieille bâche détériorée par la pluie, je l’ai utilisée comme une toile et j’ai vendu ces photos. A Berlin j’ai fait une série de trois photos sur un instrument de musique. Je me suis rapproché très près, on ne voyait pas la soudure. Je me suis fait un peu d’argent pour financer mes études.
Auriez-vous un message à faire passer aux photographes tchadiens ?
Souleymane Salomon Bombaye : La photographie ce n’est pas seulement prendre des cours et acheter un appareil. Vous pouvez arriver à de très belles réalisations avec un appareil modeste si vous avez un œil pour ça. Quand j’étais étudiant en Allemagne j’avais acheté un appareil de la RDA, alors que mes camarades avaient souvent le dernier Nikon. Vous n’avez pas besoin d’un appareil hors de prix. Un appareil photo est avant tout un outil de travail. C’est comme pour un marteau, vous pouvez utiliser un marteau très simple et faire du bon travail avec.
ZOOM
Une technique particulière
Souleymane Salomon Bombaye : Chacun a sa technique. En ce qui me concerne, j’ai un sac à café qui vient du Brésil, je prends mon modèle et je l’emballe dedans.
Il peut aussi m’arriver de choisir une perspective anormale. Je veux sortir de la monotonie. Je n’aime pas le style cartésien qui dit « ça doit être comme ci ou comme ça ». J’aime quand à l’intérieur du portrait on sent un dynamisme, un mouvement.
Matthias Turcaud