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TOUMAI RAP, collectif de rappeurs tchadiens qui " disent tout haut ce que les gens pensent tout bas "

Le collectif Toumai Rap qui réunit des anciens et des nouveaux rappeurs se bat pour améliorer le statut de chacun.

Rencontre avec le collectif Toumai Rap à N'Djamena devant le bar "Le Grand Air" situé au quartier Moursal près du rond-point Aigle et dont DJ Boum est le gérant...

Pour commencer, pouvez-vous présenter le collectif Toumai Rap ?

Malick H, président : Le collectif Toumai Rap a été créé en 2007 pour défendre l’intérêt du rappeur tchadien.

DJ Boum : On veut réunir les anciens et les nouveaux rappeurs. Ensemble on est plus solides et on veut essayer d’améliorer le statut de chacun. Actuellement on a un projet, avec la maison Selesao, " Basket-ball et hip-hop " et on aimerait également organiser un concert de rap à l’air libre, même si ça ne rapporte pas, pour faire rêver la jeunesse.

Aujourd’hui quand on dit qu’on est rappeur professionnel, on passe pour quelqu’un qui n’a pas fait d’études ; on aimerait que ça change. On veut lutter aussi pour les droits d’auteur des Tchadiens, qu’on perçoive après un concert ce qui nous est du.

Il faut aussi dire que c’est une organisation avec un président, un vice-président, un trésorier, un chargé de programme, un secrétaire…

Toumai-rap-tchad

Qu’est-ce que le rap vous apporte ?

Ashlada : Je suis le chargé de projet pour l’association Toumai Rap. Pour moi le rap c’est l’activité de la jeunesse, mais le rap ne nous profite pas, comme la musique en général. Ce n’est pas bien vu dans ce pays, il n'y a pas d’investissements dans le rap, on n’a pas d’espace.

En tant qu’association, on n’est pas supposé tenir une réunion dans un coin pareil, on devrait être dans un centre culturel, dans un lieu approprié. On n’a pas de salle de spectacle ni de lieu de répétition… Le Ministère qui s’occupe de ça n’a pas pris d’initiative qui puisse profiter aux rappeurs. Actuellement pour nous c’est comme une jungle et le rappeur tchadien n’arrive pas à vivre.

Parmi nous quelques-uns sont entrés dans le show-biz et investissent leurs propres revenus dans le rap. Nous faisons du rap, parce que nous aimons le rap.

Shenkerim : Pour moi le rap est le meilleur vecteur pour véhiculer des messages et grâce à lui j’essaye de toucher l’ensemble des couches sociales. Il est pour moi universel et il m’inspire. Que ça paye ou pas, le rap me permet de m’exprimer et je me sens libre grâce à lui.

KKJ : Pour moi le Rap c’est : Rappeler appeler parler. Contrairement à d’autres genres musicaux comme la rumba, le rap pour nous est plus dans l’engagement.

Le hip-hop tarde à grimper au Tchad, mais a quand même pris de l’importance par rapport à d’autres genres musicaux comme le zouk ou le soukous. La nouvelle tendance de la génération actuelle est vraiment le hip-hop donc il faudrait investir davantage et rendre les rappeurs tchadiens plus visibles sur le plan international, par exemple à travers les réseaux sociaux et les médias. C’est ce qui freine le rap tchadien, sinon il va bien.

Nous avons du mal à nous faire connaître, on peut regretter la non venue de promoteurs qui porteraient les artistes de talent sur la scène internationale.


Quels sont les thèmes sur lesquels vous rappez et qui vous tiennent à cœur ?

Gaitos (du groupe « Fer de lance ») : On parle de tout et de rien, on parle de problèmes sentimentaux mais aussi de politique et de social. A la base le rap était revendicatif. Aujourd’hui il porte davantage sur le divertissement – ou « entertainment », mais le rap permet d’aborder tous les sujets tabous qui touchent la société.

Beaucoup s’inspirent aussi de leur vie quotidienne et de leur expérience personnelle. Ca dépend de chaque rappeur, la façon dont il veut véhiculer son message et porter le flambeau à travers sa musique qui est le rap.

Malick H : Les thèmes se ressemblent, la plupart d’entre nous parle de l’injustice sociale. On parle de la mauvaise gouvernance, de la corruption… On a un album déjà sur le marché, qui résume un peu le combat de Toumai Rap.

Prophète : L’éducation, l’accès à la santé et à l’eau potable, tout ce qui pose problème. On parle en général de ce qui ne va pas.

Shenkerim : Moi c’est d’abord la rue, parce que j’y ai grandi. Je parle aussi de mon pays et du système politique que je dénonce…

Malick H : On se sent menacé, on réclame. Ce qu’on vit c’est ce qu’on dit. On demande pourquoi le gouvernement nous impose les seize mesures et pourquoi c’est le bas peuple qui doit subir ça. On veut des explications.

Aslahda : Nous avons tous le même combat dans le rap, un message de rage. Il faut maintenant réfléchir ensemble et combattre ensemble. Sur le premier album de Toumai Rap, on a rassemblé les problèmes qui posent question : on a parlé de la femme qui n’est pas bien dans son foyer et dans la société, on a parlé du gouvernement, de l’évolution de la jeunesse…

Le rap pour moi est un mouvement révolutionnaire. Maintenant c’est devenu un business, mais pour moi le rap c’est une revendication, ou une imposition. C’est réfléchir à comment même le plus pauvre peut avoir une place.

Dj-Amidal-Prophet-Da-Shit-Dj-Boum-Dolbiass

Dj Amidal, Prophet Da Shit, Dj Boum et Dolbiass

L’inspiration vous vient-elle facilement ?

Malick H : On peut s’inspirer de chaque évènement qu’on voit, qui nous concerne…

Prophète : L’inspiration pour moi c’est comme quand on a envie de manger ou qu’on a une érection. Elle vient quand on est tout seul, qu’on marche, qu’on écoute une bonne musique…

Tchobpa : Ca dépend du thème qu’on choisit. Face à certaines choses qui arrivent sous nos yeux on trouve facilement les mots. Quand on prend un thème comme la vie en France, ça vient moins facilement.

DJ Boum : J’écris ce que je vois, ce que je vis, au sein de ma famille et ma famille du rap. Pour la manière d’écrire ça dépend. Pour notre album on avait plusieurs thèmes comme l’agriculture ou l’éducation et on a tiré au sort pour savoir qui traiterait quoi. PCL, 3 XL, Maquisard Prod nous aident. Quand on a un projet de concert ou d'album on propose ces thèmes à ces maisons-là.

Malick H : Avant de sortir un album on discute beaucoup ensemble, on débat de thèmes. Comme je l’ai dit, ce qu’on dit c’est ce qu’on vit ; en France des gens comme Kerry James le disent aussi, parce que le rap c’est d’abord une musique du ghetto. C’est la même vie que ce soit en France ou au Tchad.

Les rappeurs en France voient les différences existant entre eux et les gars de l’Élysée, ils parlent du racisme, des ‘blacks’, des ‘blancs’, des ‘beurs’… On voit comment les rappeurs en France et aussi aux Etats-Unis souffrent et ça fait également partie de nos thèmes.

On parle aussi de la Libye, pourquoi Kadhafi est-il mort ? Sarkozy est arrivé, ils ont tué Kadhafi, et après nous ici on se retrouve avec Boko Haram et l’intégrisme musulman. L’essentiel n’était pas de le tuer, ce sont des enjeux politiques et le bas peuple souffre. On parle aussi de l’immigration, de nos frères qui sont morts.

Quels sont vos espoirs et vos attentes sur la manière dont la situation peut évoluer pour les rappeurs tchadiens ?

Cool Pac : Les gens pensent encore trop souvent que les rappeurs sont des délinquants et des gens qui ne valent rien. L’Etat tchadien ne nous soutient pas et même pour nos concerts ce n’est pas toujours rempli, ce qui peut pousser à croire que le rap n’est pas bien vu au Tchad. Cela dit, on continue à se battre jour et nuit, qu’on ait l’argent ou non. On dit tout haut ce que les gens pensent tout bas.

Malick H : Je ne dirais pas que le rap est mal vu, mais on peut parler d’un manque de structures. La musique n’est pas structurée et les rappeurs, qui sont des gens du ghetto, n’ont pas les moyens. Il faudrait parvenir à faire leur promotion au niveau africain et mondial. Le problème c’est comment y parvenir, mais on a toujours l’espoir, on se bat, on pense qu’un jour ça arrivera. On a beaucoup de choses à dire, et on aimerait que le monde les entende.

ZOOM

Merci à tous les rappeurs présents !

DJ Boum, Irfan et Gaitos du groupe "Fer de lance", Sidney, F6, Malick H, Cool Pac, Shenkerim, Wattson Le Farouche, M-Ri, Prophet Da Shit, Soul le Vip, Rosta Run, KKJ l’Omniprésent, Aslahda, Oxy de 100 Préjugés, Daable-By, John Criss, Guidre O’Koul, Tchobpa El-Mythe, Allane Moobbarak, Revolution invisible, Maktoob.

Propos recueillis par Matthias Turcaud