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Comment lire une ville africaine en photos ?
Le portrait photographique des villes africaines analysé à travers Addis-Abeba et Le Cap.
J’avais travaillé avec des collégiens sur le portrait photographique d’Addis-Abeba, la prestigieuse capitale éthiopienne qui abrite les sièges de plusieurs représentations internationales, comme celle, par exemple de l’Union africaine, une ville qui fascine, et qui a la cote, vu de loin.
Nous avions décidé de sélectionner les principales composantes du paysage urbain, celles qui lui confèrent une part de son caractère, ces motifs qui collent à la peau de la ville, harcèlent la vue.
Il s’agissait donc de tout ce qui est visuellement récurrent, de ce qui resurgit comme des pop up. Il en est ainsi des palissades aux rayures verticales jaunes et vertes visibles partout dans la cité; ou des vendeurs de balais-serpillères ou des matelas empilés sur la tête des portefaix, ou des bananes disposés en éventail dans les brouettes en métal, sans évoquer l’importante présence des animaux, les ânes, si bons, les chiens à demi sauvages, les moutons craintifs…
Berta Girma - Moving Shadows (2016)
Il se trouve que ce sont les mêmes marqueurs visuels à forte récurrence qui nourrissent la série Moving Shadows (2016) de Berta Girma, jeune artiste éthiopien autodidacte représenté à Addis- Abeba par la galerie Addis Fine Art.
Ces marqueurs sont en la circonstance des personnages qui émergent seuls sur chaque photo, transformés en figurines accompagnées de leur ombre, telle une servante empressée.
Notons, par goût de la comparaison, le choix esthétique différent qui fut celui de Harandane Dicko (1978), photographe malien formé au Centre de Formation en Photographie de Bamako (CFP), et qui en son temps fixa des ombres (« Le voleur d’ombres, 2007 »), mais sans retrancher ses personnages du contexte.
Harandane Dicko
En revanche, gommant le contexte d’un aplat monochrome, bleu, vert, orange…, Berta Girma isole et magnifie chaque individu. Son élégant système fait disparaître Addis-Abeba, seuls les sujets permettent, par déduction, de s’en faire une idée. L’ensemble est décoratif, paisible, attrayant. Il est aussi itératif, tout comme la récurrence initialement soulignée des motifs urbains. Cela fait système, on identifie aisément l’auteur de chacune des photos de la série : Berta Girma.
La ville dans son jus - l’expression est recevable tant s’arriment un peu partout des zones de pourriture -, donne des indications sur le pays hôte, sur son niveau de développement, sa croissance… Ces composantes du paysage urbain offrent donc leur cachet à une capitale à haut contraste.
Esthétique de la simplification mise à part, le thème des travailleurs dans la ville est donc en partie traité, oui, et ce choix permet de mieux appréhender ces emplois des rues très peu rémunérateurs, épuisants, hautement concurrentiels, typiques d’un implacable secteur informel.
Avec les élèves, le but avait été aussi d’isoler, autant que possible, chacun des éléments récurrents, ceux déjà cités, d’autres encore, pour tendre la main à l’abstraction. Au lieu de gommer avec Photoshop tout ce qui dans leurs images n’était pas le personnage, les élèves sur le terrain tendaient un drap blanc derrière le sujet, tâche incertaine, lorsqu’il s’agissait par exemple d’un mouton apeuré.
ZOOM
Les taxis du Cap vus par le photographe Angus MacKinnon
Angus MacKinnon, photographe sud-africain né en 1991, formé à la Michaelis School of Fine Art (Cape Town), a procédé autrement dans la série sur les taxis de sa ville.
Il a pris les taxis de profil, déroulé un étroit fond blanc devant une portière et assis le chauffeur sur ce fond.
Angus MacKinnon / Some Taxi Drivers (2014)
Ce dispositif d’isolement partiel du sujet est comme un projecteur orientant le regard du spectateur, il met en majesté l’exigeant métier de ces hommes dont on ne voit en général que la nuque, et qui à présent ont un visage, MacKinnon donnant à voir celui-ci en gros plan à gauche de ses photos.
Vincent Godeau