Avec Hervé Samb, le jazz se renouvelle en Afrique
Hervé Samb est un talentueux guitariste qui s’est illustré de Dakar à Paris puis New York « en apprenant à apprendre » pour le citer.
Multipliant rencontres et découvertes, Hervé Samb nous propose aujourd’hui un retour au Sénégal avec un disque - Teranga - étonnant de diversité.
La Teranga en wolof pourrait se traduire par hospitalité, accueil. Ce mot viendrait de Teral signifiant la terre ou l’arrivée.
Le titre de cet album est donc clair : il s’agit là d’un retour à la terre, d’une arrivée aux sources sénégalaises.
Autant son précédent album " Time to feel " était un disque de jazz, assez classique dans son approche de la musique, autant Teranga est à part.
À l’écoute, ce qui frappe, c’est l’omniprésence de la musique africaine, avec ses rythmes, ses accompagnements et ses chants.
Un coup d’œil sur le livret précise qu’il s’agit pourtant bien là d’un disque de jazz. Pour preuve, on y trouve une version du célèbre morceau de John Coltrane " Giant Step ". Tout un programme ! Ce pas de géant a été le point de départ en 1960 d’une véritable révolution musicale.
Hervé Samb, lui, en propose une version africanisée. Une adaptation, une transposition sous le soleil de Dakar. Cette relecture s’accompagne de percussions et de chants proches du rap, apportant à la rigueur coltranienne une exubérance et un plaisir manifeste de jouer de la musique.
Même chose pour " There Will Never Be Another You ". Sa reprise de ce succès de Sonny Rollins, lui apporte avec ses percussions et son jeu de guitare une nouvelle dimension plus chaude, plus conviviale.
Il en est de même pour sa version de " The Days of Wine and Roses ", composition de 1962 d’Henry Mancini pour un film de Blake Edwards ou de sa reprise de " Time Remembered " de Bill Evans ou enfin d’une superbe version chantée de " My Romance " de Richard Rodgers.
Hervé Samb appelle cette alchimie le " Jazz Sabar " apportant au jazz traditionnel la vitalité de la danse et des percussions sénégalaises.
Comme en contrepoint à ses standards nord-américains, Hervé Samb nous propose des morceaux traditionnels africains réinterprétés dans la même veine comme " Saaraba" " Bireum Yaasin Boubou " ou " Denianke ", enrichis par le syncrétisme musical des musiciens.
Mais tout cela ne serait pas complet sans des morceaux de sa composition. Ils sont particulièrement intéressants, car leur composition mêle « nativement » ce métissage culturel.
Nous sommes alors dans des palettes sonores qui - aidé en cela par son subtil jeu de guitare - peuvent évoquer aussi bien la musique traditionnelle africaine, la rumba congolaise comme des sons brésiliens. Le titre qui ouvre le disque - " Thiossane " - est particulièrement emblématique de cette volonté de fusion musicale comme " Dem Dakar " ou même " Interlude : Niouk ".
Ce disque est important, car il est une tentative réussie de la musique sénégalaise - et à travers elle la musique africaine - de s’approprier le jazz pour le parer de ses couleurs et de ses richesses harmoniques et rythmiques.
L’orchestration fait la part belle aux percussions et à la virtuosité d’Hervé Samb à la guitare au son si caractéristique issus d’un jeu souple et riche d’harmonies colorées.
Un pas de géant ? Comme Coltrane l’avait fait avec son morceau fétiche, ce disque préfigure l’émergence d’une musique sénégalaise suffisamment affirmée pour se frotter et s’enrichir aux musiques du monde sans perdre son âme.
A suivre impérativement !
ZOOM
Les Sénégalais à New York
Il est un quartier d’Harlem à New York - entre la 116e rue et la 5e avenue - que ses habitants appellent « Little Senegal ». Autant dire que la présence sénégalaise est marquée.
Comme l’a fait Hervé Samb, 20 000 Sénégalais vivent ici en transposant leurs us et coutumes tirés des différentes communautés sénégalaises. On est ici chez soi - ou presque !
Vous y trouverez transplantés sur les rives de l'Hudson leurs cuisines, leurs langues et leurs costumes jusqu’à leur système judiciaire. En cas de conflit, on gère tout ça, entre soi, à la sénégalaise.
Rachid Bouchareb abordera avec son film " Little Senegal " le sujet en montrant un homme, Alloune, guide à la Maison des Esclaves de l’île de Gorée, à la recherche des descendants de ses ancêtres.
Malheureusement, l’augmentation des loyers à New York fait de ce quartier d’Harlem, autrefois déshérité, un lieu recherché. La gentrification pousse la population vers la sortie risquant de signer ainsi la fin - ou le déménagement - de « Little Senegal ».
Rédigé par 2Biville