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TootArd, tout droit venus des plateaux du Golan

Avec ce deuxième album, Laissez passer, le groupe TootArd fait résonner sa musique à travers le monde.

Le groupe TootArd fait également entendre l'histoire de ce petit territoire enclavé entre Israël, la Jordanie et le Liban.

Occupé et administré par Israël depuis la guerre des 6 jours en 1967, le Golan est encore aujourd'hui, de part sa situation stratégique, en proie à un vide administratif et étatique béant.

Ses résidents ne sont pas israéliens et lorsqu'ils voyagent, il leur faut se munir d'un laissez-passer. Ils ne sont citoyens d'aucun pays. N'ont pour ainsi dire aucune identité. Ils sont syriens mais ne se sont jamais rendus en Syrie : ils sont apatrides.

Heureusement, pour ces quatre jeunes membres du groupe TootArd, actuellement résidents dans différents pays d'Europe, leur musique est le Laissez-passer qui leur a permis de trouver leur propre identité.

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D'où venez-vous ?

« D'où venez-vous ? » La question peut paraître anodine et naturelle. Seulement pour les quatre musiciens du Levant, comme un orphelin le jour de la fête des mères, cela devenait insupportable de ne plus savoir comment y répondre.

Et c'est ainsi en musique. En retraçant leurs influences, leurs affinités, en puisant dans leurs racines proches ou lointaines, qu'ils sont parvenus à répondre à l'ennuyeuse question.

Rythmes classiques arabes venus d'Afrique du Nord, grosse influence caribéennes (reggae, ska), Bob Marley en tête de liste, une cousinade certaine avec les touaregs du Nord-Mali (Tinariwen, Bombino…), TootArd vient d'ici et de là. Ils ne sont plus « indéfinis » comme ils le précisent aujourd'hui eux-mêmes. Ils ont trouvé leur identité.

Mais pour eux, il a d'abord fallu aller chercher loin ces différentes racines. En Jamaïque, pour commencer. Car les deux frères Hasan Nakhleh (voix, guitare), Rami Nakhleh (frère d'Hasan et batteur) et leur deux acolytes débutent en jouant des reprises de classiques du reggae.

Leurs premiers lives ont lieu en Israël, en Égypte, en Jordanie, à Oslo, Berlin mais surtout au Golan... devant un public à grande majorité arabe. « Pas étonnant » précise Hasan, « car ils interprètent leur répertoire uniquement en arabe ». Le premier album, Nuri Andaburi, leur offre une notoriété locale.

Cela est en train de changer !

« Cela est en train de changer. » nous dit Hasan. En effet, leur deuxième album, Laissez passer, leur offre une entrée dans de beaux festivals internationaux (End of the road festival à Salisbury, Visa for music à Rabat, Celtic Connections en 2018...).

Ce deuxième volet musical, ils mettent plusieurs années à le composer. Hasan et Rami, les deux frères, se retrouvent régulièrement pour échanger et composer à quatre mains.

Le live, les réactions du public, les aident également à affiner leurs morceaux. Ils avancent ainsi pas à pas. Et cette fois-ci dans une nouvelle direction musicale même si toutefois le reggae et le ska restent le fil rouge de leur palette musicale.

Ils puisent dans leurs souvenirs d'enfance et se laissent bercer par la gamme rast, celle spécifique aux musiques arabes. Ces musiques qu'ils écoutent petits dans leur famille dont beaucoup sont musiciens.

Pour parfaire cette influence profonde, Hasan ajoute ainsi des frettes à sa guitare et rappelle ainsi les sonorités de l'Oud, cet instrument traditionnel arabe. Des rythmiques africaines ou transe marquées par diverses percussions, une grosse caisse bien présente, des riffs de guitares avec reverb' largement amplifiée à la Tinariwen, la mélodie d'un saxophone mélancolique, des introductions rock psyché et vaporeuses, nous voyons à présent bien d'où viennent ces quatre jeunes musiciens et où ils vont.

Et leurs textes dans tout ça, que racontent-ils ?

« Nous chantons la nature, la vie... nous avons une situation particulière au Golan. Nous avons le sentiment d'être déconnectés de la Syrie et d’Israël. Cela se ressent dans nos chansons. Nous en parlons aussi. Être sans État, cela nous a amené à appeler ce second album Laissez passer. »

En racontant leur histoire, ils sont parvenus à changer le cours de leur destin. Peut-être changeront-ils également le regard que l'on porte sur leur terre natale, le Golan. C'est tout le mal que nous leur souhaitons.

ZOOM

Hasan Nakhleh, un des quatre jeunes membres du groupe TootArd

Quels sont les ingrédients indispensables pour concocter un bel album, selon vous ?

Hasan Nakhleh : Il faut avoir avec soi quelqu'un qui joue très bien. Également, être à deux pour pouvoir créer ensemble et échanger. Cette manière de créer me plaît beaucoup. Je la trouve très inspirante.

Quelle est, pour vous, la journée parfaite ?

Hasan Nakhleh : Au Golan, je dirais lorsque j'ai le temps de prendre le temps et de composer. En Suisse, là où je vis actuellement, la vie est calme et propice à cela.

Quels sont vos héros préférés dans la vie réelle ?

Hasan Nakhleh : Je dirais au hasard, Wim Wenders. J'ai vu certains de ses films et je les ai beaucoup aimés. Il se trouve que j'en ai vu beaucoup de lui récemment, cela m'a influencé.

Avez-vous une devise ?

Hassan : Être amoureux, c'est la plus belle expérience que l'on puisse vivre.

Qu’avez-vous prévu de faire demain (le jour suivant l’interview) ?

Hasan Nakhleh : Nous allons visiter de la famille en Suisse. C'est l'anniversaire de la grand-mère de mon amie.

Eva Dréano