A la rencontre du jeune écrivain tchadien Hervé Madjirébaye
Hervé Madjirébaye représente cette jeunesse tchadienne qui s'ouvre à la littérature et qui prend la plume pour dénoncer les inégalités.
A 33 ans, il a déjà écrit deux pièces de théâtre publiées aux Editions Harmattan : Le Prix du Pardon et Déportation rémunérée.
Comment l’écriture est-elle entrée dans ta vie ?
Hervé Madjirébaye : L’écriture est entrée dans ma vie à partir d’un constat.
Jusqu’en quatrième je n’avais lu aucun livre écrit par un Tchadien. Ca m’a préoccupé, j’ai demandé à mes Anciens : « Comment se fait-il qu’on n’ait pas de Tchadiens qui aient écrit ? » J’ai demandé à un de mes professeurs pourquoi lui n’écrivait pas, il m’a répondu que quand je serai grand je comprendrai et je lui ai dit que quand j’aurai son âge j’écrirai, c’est un défi que je me suis lancé.
Quand j’ai eu mon bac, j’ai eu du temps et donc j’ai écrit beaucoup de choses, pour respecter ma promesse, puis c’est devenu une passion. Le Prix du Pardon je l’ai écrit en quatre ans, Déportation rémunérée en huit.
Le Prix du Pardon traite de la situation des retraités au Tchad et de la réconciliation entre Tchadiens du Sud et Tchadiens du Nord à l’issue des années de conflit que nous avons connues.
Dans Déportation rémunérée j’aborde la question assez sensible de la sorcellerie, de la difficulté d’exploiter les hommes, de la mauvaise exploitation du pétrole notamment dans le sud et des formes d’esclavage moderne qu’on peut même observer à N’Djaména.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’écriture théâtrale ?
Hervé Madjirébaye : Pour moi, ça n’a rien à voir avec la scène. C’est la manière qui m’est venue naturellement et j’ai essayé de la développer en travaillant des méthodes.
En même temps je ne respecte pas les codes classiques. J’écris aussi des articles qui portent sur l’anthropologie, la culture ou certaines approches philosophiques en lien avec mon domaine de recherche – la question des relations intersubjectives avec comme point de chute le dialogue interreligieux, la cohabitation pacifique et le pardon.
Je viens d’écrire une lettre au diocèse de N’Djaména par rapport à la radicalisation qui peut aussi surgir chez les chrétiens : comment faire pour que chaque chrétien se sente en famille avec les autres ? Ce qui me plaît dans l’écriture théâtrale c’est que ce qui est dit par les personnages ne m’engage aucunement.
En revanche, dans la nouvelle, je ne fuis pas pour autant mes responsabilités : quand j’écris des articles, c’est moi qui parle.
Tes pièces ont-elles été représentées ?
Hervé Madjirébaye : Non, d’ailleurs vu le grand nombre de personnages, le non respect des trois unités posent énormément de problèmes aux metteurs en scène.
D’ailleurs en écrivant je n’ai pas écrit pour que ce soit représenté, j’ai écrit pour que ce soit lu. Au Tchad le théâtre n’existe pratiquement pas.
Une troupe me demanderait la somme qui me permettrait de sortir deux autres livres.
Ton rapport à la lecture…
Hervé Madjirébaye : Je lis beaucoup.
Après mon bac et mes études en philosophie, je me suis consacré exclusivement aux écrits philosophiques et théologiques comme je suis passé par le séminaire. Puis j’ai recommencé à lire des œuvres littéraires, et notamment des œuvres écrites par des Tchadiens qui ne sont pas connues dans leur propre territoire.
C’est pour ça que j’ai initié des programmations mensuelles au centre culturel Baba Moustapha en lien avec les étudiants en lettres modernes à l’université de Toukra. Cette année je vais passer des présentations aux bibliothèques aux présentations dans les bars tous les week-ends avec un auteur tchadien, pour être plus accessible.
Je veux aussi accompagner les lycéens dans leur programme, car les enseignants ne traitent généralement que trois des neuf livres au programme (au mieux). Je veux entretenir leur goût de la lecture et susciter un effet de contagion.
Je suis épaulé par trois docteurs en lettres modernes et tout cela est fait bénévolement. Nous allons nous voir d’abord pour une séance introductive, puis les lycéens auront à faire une fiche de lecture et les meilleures fiches de lecture seront primées, ce qui les stimulera. On va faire trois livres par trimestre.
Je lis très peu de poésie. Je n’ai pas aimé les poèmes parce qu’on m’a obligé à les réciter et je n’avais pas cette capacité d’apprentissage.
Que penses-tu des écrivains tchadiens aujourd’hui ?
Hervé Madjirébaye : Je trouve que les écrivains tchadiens aujourd’hui deviennent plus nombreux.
Koulsy Lamko et Nimrod sont de très grands écrivains. Aujourd’hui les Tchadiens n’hésitent pas à se jeter à l’eau même sans outils, ce qui donne des œuvres de qualité diverse, mais au moins ça permet de voir un intérêt.
Certains le font pour jouir du statut d’écrivain, d’autres pour faire l’expérience de l’écriture, mais la plupart pour débattre de problèmes de société ou d’ethnie comme la question de la dia - dans Le Prix du Sang -, ils touchent à beaucoup de sujets comme la question de l’injustice dans l’emploi, l’impunité, le détournement des biens publics.
Beaucoup parlent aussi de la situation de la femme, de l’émancipation féminine, et la question du pétrole qui n’a arrangé finalement qu’une infime partie de la population tchadienne a également fait l’objet de beaucoup d’écrits. On remarque une sorte de réveil de la conscience nationale.
Nous avons très longtemps été considérés comme un pays guerrier. Aujourd’hui les écrivains se présentent comme « tchadiens », il y a une volonté d’unité et d’assumer leur nationalité.
Beaucoup écrivent aussi sur le génocide en Rwanda, l’apartheid en Afrique du Sud ou des réalités européennes.
ZOOM
Hervé Madjirébaye, de Tintin à la Bible
Un livre ? La Bible. Pour moi, c’est le plus grand des livres.
Un personnage de fiction ? Tintin.
Un mot ? L’espoir.
Une citation ? « Bois ton sang, nourris-toi de ta sève ». Khoulsy Lamko
Un titre ? La main-d’œuvre du fossoyeur (une des mes nouvelles)
Propos recueillis par Matthias Turcaud