L’Afrique de demain décryptée par Séverine Kodjo-Grandvaux
Séverine Kodjo-Grandvaux interviendra à l'occasion du Week-end des Écrivains du Monde, un événement littéraire réunissant à Paris des personnalités majeures de la pensée africaine.
Le week-end organisé par le Columbia Global Centers de Paris et la Bibliothèque nationale de France aura lieu du 9 au 11 juin 2017.
Il rassemblera certains grands noms de la pensée africaine et caribéenne (Alain Mabanckou, Achille Mbembé, Emmanuel Dongala, Christiane Taubira...) autour des thématiques notamment du retour d’exil, du langage et de la mémoire.
L’auteure de l’ouvrage Philosophies africaines sorti en 2013, Séverine Kodjo-Grandvaux intervient ce samedi 10 juin lors d’une table ronde. Elle tentera d’y Penser l’Afrique de demain.
Journaliste et philosophe, depuis plusieurs années, elle décrypte les mutations africaines.
Séverine Kodjo-Grandvaux nous donne un petit avant-goût de son intervention prévue au Columbia Global Centers de Paris dans cette interview qui lui est consacrée.
La France était jusqu’ici à la traîne en matière de dynamique et de promotion de la pensée africaine. Y a-t-il une mutation qui s’opère actuellement ? Cet événement en est-il le signe ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : Il y a un intérêt, en ce moment, pour la création - artistique ou littéraire - africaine, c’est certain.
Il y a régulièrement des focus ou des regards sur l’Afrique, comme lors du Marathon des mots à Toulouse et à Avignon l’année dernière. Il y a eu la retentissante leçon inaugurale d’Alain Mabanckou au Collège de France, les conférences qu’il a données et colloques très importants organisés sur « Penser et écrire l’Afrique ». Ces événements attirent du monde, oui. On observe un public fidèle, intéressé.
Mais pour autant, au niveau des institutions et des universités rien ne change vraiment. La philosophie africaine, par exemple, n’est toujours pas enseignée dans les Universités françaises contrairement à ce qui se fait en Afrique et aux USA. Il y a encore de nombreuses résistances.
Vous intervenez ce week-end sur la thématique Penser l’Afrique de demain. Dans cette table ronde, il est question des mutations du continent. Egalement d’esquisser son nouveau visage. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : En 2050 l’Afrique représentera ¼ de la population mondiale. Cette nouvelle donnée démographique, non seulement va changer les sociétés africaines, mais aura aussi des répercussions au niveau planétaire.
L’Afrique est un continent jeune. Une partie de sa jeunesse est très connectée. Elle utilise les nouveaux médias pour s’engager politiquement. Les mouvements citoyens au Sénégal et au Burkina Faso, Y en a marre et Le balai citoyen, en sont des exemples.
Cette jeunesse est sûre d’elle et n’a rien à prouver au monde. Elle s’affirme telle qu’elle est. Il faut l’encourager dans cette volonté de prendre en main son destin. Il y a un lien à faire avec la jeunesse de la diaspora qui entend se réapproprier le discours sur soi et valoriser son être-au-monde.
Cela a aussi été à l’origine des Ateliers de la pensée à Dakar et à Saint-Louis au Sénégal en octobre dernier. Il y avait cette volonté d’interroger les concepts, les catégories et les imaginaires que l’on mobilise lorsqu’on pense l’Afrique, pour contrôler le discours que l’on peut avoir sur soi en tant qu’Africain.
Ce type d’événement est mobilisateur et novateur. Il amène à interroger nos disciplines, à se situer à la croisée des chemins, à construire une nouvelle bibliothèque qui ne sera pas tant post-coloniale que dé-coloniale.
Si les indépendances ont été un événement, la décolonisation est un processus inachevé. Une certaine colonialité persiste. Les rapports économiques, politiques, mais aussi culturels et épistémiques restent dissymétriques. Il faut en avoir conscience pour achever ce processus de décolonisation, qui concerne aussi nos imaginaires.
Vous avez également été récemment programmatrice du Pavillon des Lettres d’Afrique, dans le cadre du Salon du Livre 2017. Comment avez-vous souhaité promouvoir les livres d’Afrique ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : L’idée était de présenter les littératures et les écritures africaines dans leur diversité. Il a été question de fiction, de roman, mais aussi de philosophie, d’histoire, de poésie, de slam, de chorégraphie… Diversité géographique et culturelle également avec des auteurs francophones, anglophones, originaires du nord ou du sud du Sahara, mais aussi des diasporas...
Avec Felwine Sarr, nous voulions montrer que l’Afrique, à travers la littérature, a toujours été en lien avec le reste du monde. Pour cela, il était important d’inviter des auteurs de la diaspora mais aussi des écrivains non africains. Je pense notamment à Patrick Chamoiseau et Laurent Gaudé.
Et nous avons aussi souhaité faire dialoguer ensemble différentes génération, comme Henri Lopes avec de jeunes auteurs ou slameurs comme Souleymane Diamanka, Gael Faye…
Ce week-end seront réunis auteurs, philosophes, journalistes, politiciens, penseurs, musiciens et chanteurs. Un beau mélange des genres ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : De plus en plus, on se rend compte que les disciplines ne peuvent pas être fermées les unes aux autres. Les artistes ont une pratique de plus en plus transdisciplinaire et indisciplinée.
Les préoccupations des plasticiens du continent rejoignent souvent celles des écrivains ou des philosophes. Ils ont des réflexions sur « Comment penser l’Afrique aujourd’hui ? », « Quelle parole porter en tant qu’Africain ? », « Comment renouveler ces questions ? », « Comment repenser son rapport à soi et au monde ? ». Des questions universelles et humaines.
Faire entrer en résonance des parcours d’écrivains, d’auteurs, d’artistes... peut être extrêmement fécond.
ZOOM
Les questions personnelles d'Africavivre
Quels sont les ingrédients indispensables pour concocter un livre nécessaire, selon vous ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : La poésie et la philosophie.
Quelle est, pour vous, la journée parfaite ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : La journée où l’on peut vivre notre propre temporalité. Sans se laisser imposer un rythme par les autres.
Quels sont vos héros préférés dans la vie réelle ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : Ces personnes qui au quotidien vivent avec élégance et bienveillance.
Quels sont vos héros préférés dans la fiction ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : Des personnages tourmentés qui sont amenés à s’interroger sur eux-mêmes et à tenter de se dépasser.
Qu’avez-vous prévu de faire demain (le jour suivant de l’interview) ?
Séverine Kodjo-Grandvaux : De travailler à mon projet de livre.
Eva Dréano