Trésors de l’Islam en Afrique, interview de Nala Aloudat, co-commissaire de l’exposition
Une exposition nécessaire et inédite sur treize siècles d’échanges entre l’Islam et l’Afrique
Cette exposition peu commune se tient à l’Institut du Monde Arabe à Paris, du 14 avril au 30 juillet 2017.
On y découvre une foisonnante collection d’art et d’histoire d’hier et d’aujourd’hui. En tout, 300 objets et oeuvres exposés sur 1100 m2. Il fallait bien cela pour tordre le cou à certains préjugés persistants sur l’Afrique et l’Islam.
Qu’on se le dise une bonne fois : l’Afrique a donc belle et bien une histoire. Celle-ci n’est pas seulement constituée de sources orales mais aussi écrites.
Et ce n’est pas tout : les échanges entre Islam et Afrique subsaharienne existent depuis de nombreux siècles. Précisément dès le 8ème siècle dans certaines régions.
Durant cette période la diversité des pratiques de l’Islam (Confréries soufies Shâdhiliyya, Qâdiriyya, Tijâniyya, Mouridiyya,…) est indéniable et d’une grande richesse. Chacune de ces cérémonies rituelles intègrent ses propres chants, gestuelles, musiques instrumentales,...
La mosquée de Djenné au Mali © James Morris
Autour de l’exposition, les concerts, conférences, animations et rencontres sont, quand à eux, tout autant instructifs et divertissants.
Interview avec Nala Aloudat, co-commissaire de l’exposition à ne pas manquer.
Vous parlez au sujet de Trésors de l’Islam en Afrique d’une exposition nécessaire et inédite. Pouvez-vous nous dire en quoi l’est-elle ?
Nala Aloudat : L’exposition est inédite car jamais auparavant on n’avait mis l’accent sur l’Islam au Sud Sahara. Et de manière générale, on ne parle pas du Sud Sahara dans les expositions liées à l’Islam.
Puis, lorsqu’il est question d’Islam et d’Afrique, les préjugés se multiplient. Les événements récents sur la montée du djihadisme remettent en cause des siècles de tradition musulmane. Cette exposition nous semblait donc nécessaire pour ces différentes raisons.
Vous interrogez l’idée selon laquelle l’histoire en Afrique subsaharienne repose uniquement sur l’oralité. Comment y parvenez-vous ?
Nala Aloudat : C’était important de déconstruire cette idée. On a fait de l’écriture le fil rouge de notre exposition. D’abord, avec les écrits de Tombouctou. Puis, à partir des seize et dix-septième siècle, on montre comment l’écriture était pratiquée. On lui attribuait une fonction magique dans le cadre de rituels.
Dans la dernière section de l’exposition, on montre les différents types de calligraphie de l’Afrique de l’Ouest jusqu’à la Somalie. On termine avec la création d’un alphabet nouveau. Il marque le point d’émancipation des cultures africaines de toute référence arabe.
Toute l’exposition est emplie d’œuvres se mélangeant à des objets. On ne voulait pas de parcours chronologique. On ne pouvait pas non plus en avoir car nous n’avions pas assez d’œuvres anciennes. Les œuvres contemporaines questionnaient beaucoup l’histoire, l’identité, l’écriture,... Mêler les deux avait du sens.
Parmi trois cents œuvres ou objets présentés dans l’exposition, pouvez-vous en choisir un ou une et nous en parler ?
Nala Aloudat : Ceux sont deux toiles de l’artiste contemporain Babacar Diouf. Elles sont présentées dans une section dédiée à la confrérie Tijâniyya. Dans cette section nous avons exposé exclusivement de l’art contemporain.
Babacar Diouf dessine des écritures systématiques spontanées sur des feuilles tirées de carnets. Il va ensuite maroufler sur de grandes toiles ou de grands tissus ces différents éléments graphiques. On peut y voir de l’arabe, du bamoun, du hiéroglyphe.
Pour Babacar cette calligraphie évoque une certaine mystique. Elle est le signe de sa piété. Dans cet exercice de répétition, ses œuvres révèlent très bien sa spiritualité propre au Sénégal.
En plus d’être peintre, Babacar est champion international de karaté. Ce travail de concentration de son énergie dans la pratique sportive se ressent dans sa pratique artistique.
Cette exposition est pluridisciplinaire. Pourquoi ce choix ?
Nala Aloudat : De part son sujet, lui-même. Il est extrêmement vaste. Il a trait à la culture matérielle, à l’histoire des nations, de la pensée, de la connaissance religieuse... Il nous invite à tellement de croisement. Entre archéologie, histoire, différentes sources écrites... on était obligé de montrer toute cette diversité. On avait aussi des vidéos pour présenter la pratique immatérielle des rites soufis, par exemple.
On parle de beaucoup de sujets différents ! On devait présenter un panel large d’œuvres et de supports pour donner corps et sens à notre exposition.
Les événements autour de l’exposition sont quasi aussi nombreux que l’exposition est foisonnante. Pouvez-vous nous en parler ?
Nala Aloudat : Ceux sont les affaires culturelles qui ont organisé la partie « autour de l’exposition ». Je vais donc essayer de répondre à leur place.
On a voulu s’ouvrir à l’Afrique. Décloisonner le monde arabe et musulman pour l’ouvrir à ce qu’on a appelé les périphéries.
Nous sommes allés voir d’autres régions, la région subsaharienne notamment, qui ont beaucoup apporté à la connaissance globale du monde musulman. (Ndlr : Au programme des événements très divers tels que des projections et une soirée hommage à Cheick Fantamady Camara, des ateliers avec l’artiste Victor Ekpuk, des rencontres, débats et une carte blanche donnée à l’auteur Alain Mabanckou, Pédro Kouyaté, Afrikadelic avec Manu Dibango en concert,...)
ZOOM
Les questions personnelles d'Africa Vivre
Quels sont les ingrédients indispensables pour concocter une exposition nécessaire, selon vous ?
Nala Aloudat : S’adresser aussi bien aux personnes déjà intéressées par le sujet qu’au grand public. Il faut que l’exposition soit ouverte à toutes les possibilités. Il faut s’ouvrir aux œuvres, aux artistes. Décloisonner le plus possible.
Pour cela, nous avons travaillé avec un collège d’experts. Nous avons exploré tous les pans de la recherche. Enfin, cette exposition nécessaire doit s’attaquer aux idées reçues.
Quels sont vos héros préférés dans la vie réelle ?
Nala Aloudat : René Char. Le poète est un héros absolu pour moi.
Quels sont vos héros préférés dans la fiction ?
Nala Aloudat : Le personnage de bande dessinée Mafalda.
Si votre exposition devait se résumer en un slogan, quel serait-il ?
Nala Aloudat : Eteignez la télé, ici l’Islam brille de toutes les couleurs !
Eva Dréano