Leur troisième album n’avait pu être enregistré au Mali. L’actualité ne le permettait pas. Très remarqué, Chatma était dédié aux femmes touarègues.
Pour ce quatrième album studio, le groupe revient à ses origines. Lovés aux confins des dunes familières et accueillantes, inspirés par le doux silence du désert, ils ont écrit Kidal.
Enregistré au studio Bogolan, à Bamako, ce dernier opus brandi comme une arme est un digne cri du cœur. Aussi, un très bel hommage à leur culture et à sa ville éponyme.
Entretien avec son leader Ousmane Ag Mossa.
Votre quatrième album studio s’intitule Kidal. Que représente cette ville pour vous ?
Ousmane Ag Mossa : C’est la ville qui a vu naître notre groupe en 2006. Nous y avons donné nos premiers concerts, en 2007 et 2008. Kidal est la capitale des Touaregs. Elle est aussi le lieu symbolique de sa résistance.
En 2003, les islamistes s’y sont installés. Elle a été attaquée. On ne pouvait plus circuler librement. En juin 2012, ils ont montré leur vrai visage et les Français sont intervenus en 2013.
Nous avons beaucoup de problème d’électricité, au niveau éducatif, culturel... La ville est en guerre depuis dix-sept ans ! Il lui faut se développer car elle n’a pas profité de l’essor économique et culturel du Mali. C’est d’ailleurs la cause des soulèvements en 2003, 2006 et 2012.
Nous n’avons pas choisi ce titre d’album pour dire à notre public « Nous voulons retourner aux origines de notre musique. » ou pour une autre raison artistique. Le choix du titre est politique.
Avec Kidal au poing, Tamikrest chante le soulèvement du peuple saharien.
A qui s’adresse votre musique ?
Ousmane Ag Mossa : Les textes en tamacheq me permettent de m’adresser à la communauté touarègue.
Nous avons beaucoup d’influences musicales, pas seulement africaines. On écoute beaucoup de blues, Eric Clapton, Bob Marley... Aussi de la musique kabyle, Ali Farka Touré...
Nous avons essayé de composer dans notre propre répertoire pour garder notre identité musicale. Et on a souhaité faire une place aux autres musiques. Une manière d’étendre notre message universel et de s’adresser au plus grand nombre.
La plupart des morceaux de cet album ont été écrit dans le désert. Il est votre espace de liberté, le berceau de votre culture, de votre histoire...
Ousmane Ag Mossa : Depuis Décembre 2014, nous avons essayé de retourner chez nous. D’effectuer des tournées en Europe, nous empêche de vivre ce que les autres Touaregs vivent.
On a eu envie de retourner dans le désert. Le silence nous aide à créer. C’est important aussi de vivre exactement ce que nous chantons. Cela nous permet de mieux nous faire entendre et d’être en accord avec nos convictions.
Votre album parle de dignité et de la lutte du peuple touareg. La musique est donc plus que jamais votre arme ?
Ousmane Ag Mossa : Notre discours n’a pas changé car notre situation non plus. Nous venons tout récemment d’assister à des changements. Avant 1991, il y avait des accords avec le peuple malien. En 2015, les autorités internationales ont veillé à ce que ces accords soient soutenus. Mais dans le quotidien des gens, nous ne voyons pas de différence.
Dans Kidal, vous incorporez de la mandoline kabyle et d’autres instruments africains. Un des musiciens, Paul Salvagnac est français. Pouvez-vous nous parler de votre formation et de votre musique ?
Ousmane Ag Mossa : Nous gardons notre style. Paul (Ndlr : Paul Salvagnac, guitariste français) n’est pas n’importe quel musicien de Montpellier. Il connaît très bien notre musique car il a commencé à en jouer à l’âge de quinze ans, en venant à Kidal. Il connaît notre culture depuis son enfance. Il écoute beaucoup de blues, de musique occidentale. Ça lui est très facile de jouer avec nous. C’est une chance de l’avoir.
Pour la mandoline Kabyle, cela vient de ma rencontre avec un musicien de cette région. Cette musique m’inspire beaucoup. Notamment celle de Matoub Lounès. Il y a des influences en moi qui sont très diverses. J’aime beaucoup le bluesman anglais Mark Knopfler, Eric Clapton...
Puis, on est allé enregistrer au studio Bogolan, à Bamako. Et par hasard, on a croisé un ami joueur de ngoni. J’ai aimé cet instrument. Il a joué quelques mélodies et nous les avons introduites dans l’album. C’est une nouvelle tonalité riche que je suis très content d’avoir ajouté.
Quel est votre programme pour 2017 et 2018 ?
Ousmane Ag Mossa : Nous sommes en tournée en Angleterre jusqu’au 9 mai. Nous avons des options au Japon et au Kazakhstan. Fin 2018, nous avons en tête de créer un nouvel album.
ZOOM
Ousmane Ag Mossa répond au questionnaire d'Africa Vivre
Quels sont les ingrédients indispensables pour concocter un bel album, selon vous ?
Ousmane Ag Mossa : Si seulement je le savais... Je dirais peut-être, aimer ce que tu fais et y croire. Parfois, ça n’est pourtant pas aussi simple, tu peux être doté de beaucoup de motivation, ça ne t’empêche pas de rencontrer de nombreuses difficultés.
Quelle est, pour vous, la journée parfaite ?
Ousmane Ag Mossa : Aujourd’hui ! Parce qu’hier est passé et l’on ne connaît pas demain.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Ousmane Ag Mossa : De vouloir changer quelque chose que je ne peux modifier. C’est d’ailleurs en partie ce que je fais en musique en chantant l’histoire de mon peuple.
Quels sont vos héros préférés dans la vie réelle ?
Ousmane Ag Mossa : Il y a beaucoup de personne que j’aime bien. J’admire Ibrahim ag Alhabib, le leader du groupe Tinariwen. Et d’un point de vue musical, Mark Knopfler.
Avez-vous une devise ?
Ousmane Ag Mossa : Oui. Vivre l’instant présent !
Qu'avez-vous prévu de faire demain (le jour suivant l'interview) ?
Ousmane Ag Mossa : D’aller au consulat anglais à Paris, de déposer nos dossiers et d’attendre qu’on nous pose beaucoup de questions ! Je n’aime pas beaucoup cela mais je suis obligé et ça va nous permettre de partir en tournée !
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Propos recueillis par Eva Dréano