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Et deviens qui tu es !, nouvel album solo et intimiste de Nëggus

« Mon défi est de faire un album très abouti avec des mots simples. Je veux raconter de petites histoires qui parlent à tous. »

D'origine togolaise, Nëggus était la voix du projet musical Nëggus & Kungobram qui œuvra sur les scènes françaises de 2010 à 2014.

Le slam impressionniste et engagé de Nëggus se lovait alors délicieusement dans les nappes rock, blues, jazz et mandingue du quintet. « Et Deviens Qui Tu Es », son nouvel album solo et intimiste, sort début 2018.

Le mot toujours au poing, il lance son opus comme une exhortation à qui veut l’entendre. Pour se réaliser, lui ne nous a pas attendu et son projet d’une grande créativité jongle avec différents médiums. Entretien.

L’exil, la liberté, la création, le lien social, la « black culture » en France sont des questions qui traversent votre travail artistique…

Nëggus : Oui. Mon projet est rempli par ces thèmes mais ce qui relie l’ensemble est l’humain. Qu’il s’agisse d’un artiste ou d’un citoyen lambda, l’humain et la question de l’identité m’intéressent particulièrement.

Je suis arrivé en France à l’âge de sept ans. Lorsqu’on est africain, grandir en France implique des questionnements et des problématiques de représentation. Le titre de mon album évoque cela. Nous devons tous traverser ces épreuves, ces questionnements. Cela peut être douloureux mais ça nous oblige à avancer.

Cette question de l’identité est de plus en plus présente dans la société française. Quand je parle de la question de la conscience noire en France, je n’idéalise pas. La plupart des Français qui ne se sont pas posés cette question de l’identité, ne peuvent pas t’apporter de réponse ou bien peut être une réponse convenue. La démarche doit être consciente. Pas une réaction irréfléchie.

Sur la question de l’exil. On vit tous l’exil. Chacun à notre niveau à un moment de notre vie. Il existe sous plusieurs formes et il est réel pour chacun d’entre-nous.

Pour mon album précédent avec Kungobram, il est arrivé qu’on s’étonne de me voir jouer accompagné d’artistes blancs. Mais la vraie question est : « Est-ce que les gars jouent et vivent sérieusement ce qu’ils sont en train de jouer ? » Il n’est pas question de savoir quelle est la couleur de la peau de chacun.

Mon défi est de faire un projet très abouti avec des mots simples. Je veux raconter de petites histoires qui parlent à tout le monde. Je suis plus aujourd’hui dans le ressenti et moins dans la réflexion.

Comment vous impliquez-vous dans l’écriture ? Comment considérez-vous la sortie prochaine de votre album ?

Nëggus : Dans le projet « Et Deviens Qui Tu Es », il y a trois morceaux dans lesquels je parle de moi. Tu n’as pas toujours besoin de dire « je » pour parler aux autres. Et j’aime lorsque tu t’autorises à parler de ta vie et que cela parle aux gens.

Le premier morceau de l’album s’appelle Rubicon. Le Rubicon est le fleuve que César franchit accompagné d’une armée. Interdit par la loi, son acte fut considéré comme une menace militaire et eut des conséquences irrémédiables. L’artiste se pose également cette question : à quel moment est-il prêt à traverser cette limite imaginaire pour créer, pour produire ?

En en discutant, il y a quelque temps, par exemple avec l’un de mes amis, lui aussi artiste, il disait à ce sujet : « Si j’avais écouté les gens je n’aurais fait que le premier album. Je n’aurais fait que le décliner. » Il faut donc savoir s’écouter et avancer.

Parfois l’artiste peut se trouver très seul. Parfois, la muse de l’artiste peut aussi être le public lui-même. On est dans un dialogue assez ténu avec le public. Les gens ne sont pas obligés d’aimer, ni de suivre tout. Parfois, ils le disent aussi d’ailleurs. J’essaye donc d’écouter ce que dit mon public. Mais j’ai du mal à parler de « mon public ».

Pendant longtemps, j’écrivais des pamphlets. J’avais l’impression d’être dans une forme d’imposture. J’écrivais pour des associations ou je me produisais en concert pour des gens déjà sensibilisés. J’avais cette fois-ci envie de toucher des gens qui ne sont pas nécessairement sensibles au départ à mon discours, à mes textes.

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" Et deviens qui tu es " a été financé par une récolte de fond participative.

Avec le groupe Kungobram, vous qualifiez votre musique de social groove. Aujourd’hui, vous définissez votre musique différemment…

Nëggus : Avec Kungobram, on jouait des musiques que l’on n’a pas toujours l’habitude d’entendre. C’est une démarche que l’on aimait beaucoup.

Pour ce nouveau projet, je me suis longtemps interrogé à savoir si je voulais le produire sous mon propre nom ou si je gardais mon pseudonyme. Cet album est à mes yeux très intimiste. Je n’avais pas envie que l’on pense que je jouais un rôle.

Avec ce nouveau projet, j’ai réduit le spectre des styles musicaux. Sur certains morceaux, je suis peut-être le seul à entendre que j’ai voulu créer une énergie rock, sans pour autant que le style de ce morceau puisse être qualifié de rock.

J’aime l’idée que c’est l’impression qui s’en dégage. Et j’aime que l’on entende toutes les aspérités de la musique. Comme si l’on écoutait une musique ancienne que l’on n’a plus l’habitude d’écouter. Je qualifie ma musique actuelle de Moogrooungë.   

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Nëggus est, depuis une dizaine d'année, une figure de la scène slam française. 

Votre nouvel album est un projet solo. Le collectif est pourtant très présent dans votre travail ?

Nëggus : J’ai également un peu de mal avec le mot solo. Bien souvent les gens pensent que tu es seul à créer. Je n’ai été seul qu’au tout début du projet.

Après, j’ai travaillé avec du monde. Des musiciens, des beatmakers, des réalisateurs de clips. Bientôt, il y aura également des techniciens, un tourneur, une attachée de presse,…

Tu peux faire beaucoup de choses par toi-même, mais tu as besoin de l’industrie de la musique car c’est ce qui t’insère dans un circuit ! Il y a beaucoup d’artistes qui n’ont aucune chance de voir sortir leur album si le public ne le pré-achète pas. Pour cela, j’incite les gens à être plus impliqués, à plus soutenir les artistes. Et moi aussi en tant que public, j’essaye d’être un meilleur acteur sur ce terrain-là. En tant que public, nous avons un pouvoir.

Comment s’est déroulée la campagne de financement participatif de votre album ?

Nëggus : Quand j’ai lancé la campagne, je me suis demandé qui allait vouloir soutenir mon projet jusqu’au bout. S’il allait parler aux gens et les inciter à me soutenir. Le financement participatif, c’est aussi une forme de troc. Une façon d’échanger avec le public.

Ce qui compte aujourd’hui, c’est beaucoup le nombre de clics, de vues… Pour moi qui suis très mauvais communiquant, je me disais : « Comment vais-je faire ? » Il va falloir que je prenne des cours de rattrapage. (rires)

Mais le financement participatif permet aussi au public de se rendre compte qu’il a ce pouvoir, justement. Celui de soutenir des projets originaux, qui sortent des cases. Et d’orienter aussi le monde de la musique.

Qui sont les musiciens qui vous entourent sur ce projet ?

Nëggus : Je voulais sur cet album revenir à un projet live, instrumental. Cela aurait été plus simple, plus rapide, moins cher à financer si j’avais construit mon projet avec un beatmaker mais je ne voulais pas la facilité.

J’ai d’abord rencontré le bassiste mauritanien, Ely Athie. On avait travaillé ensemble, puis on s’était un peu perdu de vue. Il est très Musique du monde. Tu peux aussi l’amener vers un univers hip-hop. Je savais qu’il pouvait m’apporter beaucoup sur ce projet.

Puis, j’ai commencé à travailler avec un jeune batteur togolais très doué. Malheureusement, à cause de nos agendas, on a arrêté tôt. J’ai donc poursuivi avec Koto Brawa. Il a une gentillesse et un talent énorme. il apporte beaucoup sur scène : Tout ce qu’il est. Il est très inventif et son sourire, ne peut être remplacé par aucune machine.

Trouver quelqu’un qui joue du saxophone et du clavier, n’était pas évident. Benjamin Garnier sait jouer des deux. Il vient de l’univers du jazz, de la funk. Le dernier qui nous a rejoint est Marco. Il a beaucoup travaillé dans l’univers gnawa. Il nous apporte une certaine harmonie, avec son jeu de guitare et de djéli ngoni.

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Deux ans ont été nécessaires pour réaliser cet album de treize titres.

Les clips accompagnant votre projet ne sont pas instrumentalisés. Seuls comportent des textes …

Nëggus : Oui. Je voulais mon projet ainsi. Aujourd’hui il y a même des soirées rap sans musique. Je sais, pour être monté sur des scènes slam que si au bout des cinq premières secondes tu n’as pas accroché le public, c’est trop tard. Le texte doit être capable de vivre seul.

On voulait également se concentrer sur les ambiances sonores. Dans le clip Rêves against the machine, on voulait se focaliser sur le bruit du métro et des paroles. Tourner dans le métro, c’était une façon de toucher tout le monde, d’évoquer le quotidien des gens. 

Le personnage de l’homme masqué évoque ce que je suis. Pour moi, la nature est vivante. La terre respire. L’animisme a du sens. Cette croyance, je l’ai évoquée avec ce personnage.

Parfois, le public peut ne pas voir cela. Le plus important est que cela ouvre une discussion. J’aime que chacun puisse avoir ses propres interprétations, ses propres ressentis face à ce que je crée.

Votre musique est originale et s’inspire de nombreux styles musicaux. Cela a-t-il posé problème lorsque vous créiez ?

Nëggus : Je fais beaucoup d’atelier avec des enfants. Je les interroge souvent et leur montre parfois des clips vidéos. Ils regardent tout mais leur temps d’attention est très court. Cela est également le cas pour beaucoup de monde. On est dans une société de la punchline, de l’idée fracassante, dans la culture du slogan. Les partis politique, les chaînes de télé, tous, ont un slogan.

Ma musique, elle, ne rentre pas dans une seule case. Elle est se situe entre le Slam, le Rap, le Spoken word, la Musique du monde. Elle est tout cela à la fois.

C’est un choix mais comme j’ai aussi conscience des standards, j’ai par exemple fait attention à ce que mes morceaux ne soient pas trop longs pour qu’ils puissent être diffusés en radio sans difficulté.

Il y a cependant deux morceaux qui feront pratiquement huit minutes. C’est le cas par exemple du morceau Les temps modernes. Son sujet est lourd. Il n’était de toute façon pas fait pour être diffusé en radio.

Pourquoi créez-vous ?

Nëggus : J’ai passé une partie de mon adolescence à utiliser ma colère à mauvais escient. Puis, j’ai réussi progressivement à comprendre que mes mains sont aussi capables de créer, d’écrire. Je me rends compte à quel point, lorsque les gens n’ont pas les mots, la violence est pure et peut être dévastatrice.

Je travaille actuellement avec des jeunes sur la notion d’engagement. Lorsque je leur demande, ce qu’est pour eux la révolte. Ils ne savent pas répondre. j’essaye de les faire réfléchir là-dessus.

Monter sur scène, c’est aussi concret. C’est s’emparer du langage. Cela permet de se positionner dans la société.

Je suis né avec un totem éléphant au Togo. J’étais ainsi doté de la parole. Elle peut être une grande arme. Aussi être utilisée pour manipuler les gens.

ZOOM

Nëggus répond au questionnaire d'Africa Vivre

Quel est l'ingrédient indispensable pour concocter une belle musique selon vous ? 

Nëggus : La passion

Quelle est, pour vous, la journée parfaite ? 

Nëggus : Celle où tu te lèves avec l’envie de sourire.

Quel est la femme ou l'homme politique (africaine) pour laquelle/lequel vous voteriez les yeux fermés ? 

Nëggus : Mille fois Thomas Sankara parce que les vivants ont vite tendance à te décevoir. Je préfère les morts ! (rires)

Dans dix ans, où serez-vous ? 

Nëggus : Je serai dans un coin perdu avec ce qui m’est essentiel. Avec la famille, les proches à côté et toujours l’envie de créer.

Si votre musique devait se résumer en un slogan quel serait-il ? 

Nëggus : Et deviens qui tu es.

Qu'avez-vous prévu de faire demain (le jour suivant l'interview) ? 

Nëggus : Retrouver une amie que je n’ai pas vu depuis deux ans. On a pas mal de temps à rattraper.

Propos recueillis par Eva Dréano