Gastineau Massamba, artiste aux mille outils
"Je ne supporte pas les étiquettes. C'est une forme de ghetto. L'art africain contemporain n'existe pas."
« Si l’œuvre s’arrête à un seul discours, c’est une œuvre morte. » Interview.
Gastineau Massamba est artiste peintre, sculpteur et même tisserand. Se définissant lui-même comme un laborantin qui explore les matériaux, tourne autour des formes, des traits, il a choisi le fil, souvent noir, pour dessiner les ombres morbides de ses corps armés, décharnés, ces corps à la peau noire qui semble fondre sur ses tableaux. Il travaille sur des corps « marchandisés », « exotisés », sexualisés, sur la manière dont « est vécu le regard de l’Autre sur l’Autre ».
Originaire du Congo, l'artiste refuse les catégories identitaires qui feraient de lui un artiste « africain » : « Parce que le travail quand il est fait il n’a pas une identité africaine comme telle, à moins que ce soit dans les sujets abordés ». Pour Africa Vivre, il livre son parcours, ses réflexions artistiques, et sa vision de l’art contemporain.
Vos récentes créations sont de grandes toiles brodées, avec un effet que l’on n'a pas l’habitude de voir. Comment avez-vous découvert le tissage ?
Gastineau Massamba: C’est arrivé par accident, en 2002, un jour où je me suis retrouvé avec une toile et un bout de fil tiré dessus. Ça m’a interpellé, je me suis demandé si je ne pourrais pas commencer à faire un travail que sur des fils, comme je sais coudre et tisser. J’ai commencé à travailler sur cette nouvelle technique pendant un an, comme dans un laboratoire. Je suis en fait un laborantin, mais sans prétention !
©Gastineau Massamba
Vous saviez déjà coudre ?
Je n’ai jamais vraiment appris à coudre, c’est aussi arrivé par hasard. On avait une machine Singer à la maison, mais j’étais le seul enfant à ne pas savoir l’utiliser. Un jour où je m’étais un peu bagarré à l’école, j’ai perdu un bouton à mon uniforme. C’était le week-end et je n’y ai plus pensé, je me suis amusé mais le lundi matin, je me rends compte que le bouton manque ! Comme j’étais un pionnier d’élite et que je devais porter le drapeau (le Congo était un pays marxiste-léniniste), je devais crier les slogans à bas l’impérialisme, et pour ça, je ne pouvais être mal habillé ! J’ai donc pris une aiguille et un fil…
Puis vous êtes passé à la machine Singer ?
Pas vraiment. Il faut dire aussi que quand j’étais enfant et qu’on commandait des tenues, nos parents allaient acheter des tissus bien classes au marché, et des couturiers faisaient le reste. Parfois on devait récupérer la tenue la veille de la rentrée scolaire, alors on se retrouvait chez le couturier, qui nous demandait de l’aide pour finir les boutons ! J’ai gardé la main sur l’aiguille et le fil mais je ne savais pas que ça deviendrait mon outil de travail.
« La matière est discours. Tout ce qu’il y a tout autour, ce sont des interrogations. »
Dans cette recherche sur le fils, quelles étaient vos inspirations ?
C’est une technique encore neuve, bien que je l'explore depuis 14 ans. J’ai découvert le travail d’autres artistes seulement après, notamment celui d’Abdoulaye Konaté. Mais le tissage m’est aussi apparu comme un acte écologiste (Ndlr : moins polluant que la peinture et les huiles). Il ne s’agit pas seulement de la récupération qu’on attribue trop souvent aux artistes africains, mais plutôt l’écologie comme la politique de l’économie.
Vous avez d’abord été peintre et sculpteur ? Est-ce que ce sont des phases terminées de votre parcours artistique ?
On ne peut pas créer qu’avec la peinture, je la bannie maintenant mais je ne me pose même pas la question de savoir si demain je vais continuer avec la même problématique et les mêmes matériaux. Ce qui m'a plû dans la scuplture par exemple, c’est la tridimensionnalité de l’œuvre. Dans une sculpture, c’est comme l’être humain, on tourne tout autour. C’est aussi le contact avec la main, comment s’est façonné, comme avec le fil et la couture, il y a ce contact très intime avec la main.
©Gastineau Massamba
« A l’époque on disait 'art content pour rien' »
Quand a commencé votre parcours d’artiste ?
J’ai commencé par le dessin, parce que c’est la base pour tout artiste. Avec le trait on arrive à avoir la sensualité, la matière, la mise en place. Mais c’est arrivé assez tard. L’art était mon milieu naturel car mon père est un artiste connu et reconnu au Congo, et je traînais souvent dans son atelier, puis j’ai fait des études de lettres et d’art. A 21 ans, j’ai décidé de faire de l’art mon métier. C’était très dur, car mon père m’a chassé de la maison. Je ne sais pas trop pourquoi, mais il voulait me voir journaliste ou avocat.
Finalement, votre père a vu (et reconnu) votre travail ?
Oui bien sûr ! Mais c’est en 2004, quand j’ai été sélectionné pour la première fois à la biennale internationale de Dakar, qu’il a commencé à croire en moi. Je faisais de la peinture, je me cherchais, ce n’était pas encore très abouti. A l’époque on disait « art content pour rien » mais ça s’achetait déjà un peu !
Comment est perçu votre travail quand vous exposez ?
Les gens se posent beaucoup de question, mais s’adressent rarement à moi directement. C’est dommage, j’aime les échanges.
Et qu’en est-il de l’art contemporain en Afrique ?
Je crois que l’art contemporain en Afrique vit dans le quotidien, même si je ne veux pas réduire cela à l’Afrique. Dans mon pays, tous les jours, le politique : c’est du théâtre ! Dans la rue : c’est du théâtre ! Même les artistes sont pris parfois dans ce théâtre, on leur impose certains sujets pour défendre certaines causes. Or l’artiste ne doit pas avoir de rôle, sinon, tout serait joué d’avance.
©Gastineau Massamba
La mort revient constamment dans vos dernières œuvres. Pourquoi ?
La mort, c’est notre compagnon le plus fidèle, elle est toujours au rendez-vous. Ça me parle, car c’est aussi un cycle existentielle, on nait pour mourir. Et j’ai vu mourir beaucoup de gens dans mon pays, notamment lors des guerres du pétrole, en 1997, pour les intérêts pétroliers de Total (Ndlr : le Congo est meurtri par une guerre civile de 1993 à 1997). Pendant la guerre du 5 juin, c’était la première fois que je marchais sur les morts. C’est atroce de marcher sur les morts, des crânes humains dans la rue, c’est dur ! C’est aussi pendant cette guerre que j’ai perdu beaucoup d’êtres chers. Finalement, mes amis ou ma famille peuvent me décevoir, la mort non.
Même une mort fleurie, comme en vert et rose sur vos tableaux ?
La mort peut être une joie. Je crois qu’on doit célébrer aussi la mort. Au Congo désormais, quand on célèbre la mort dans des veillées, on s’habille, on met des belles chaussures ! C’est une contradiction mais c’est aussi très subjectif et personnel. J’ai vu tellement de gens qui, après un enterrement, partent en boîte ! C’est un cycle de vie, une vie nouvelle qui commence.
©Gastineau Massamba
"L’art c’est le baromètre du monde."
C’est aussi une manière de se souvenir, comme si l’artiste était mémoire…
Oui bien sûr, s’il n’y pas d’histoire par l’artiste, qui écrit l’histoire ? Les victorieux ! Les historiens écriront l’histoire, mais beaucoup plus tard, l’artiste fait un travail immédiat, pour l’éveil du monde. C’est en ça qu’il doit être en avance de son temps.
Vous traitez de sujets très politiques, la guerre notamment et du pillage des ressources du continent africain. Est-ce que vous êtes un optimiste qui pense pouvoir changer les choses ?
Je ne sais pas si l’artiste a un rôle politique, mais l’art en lui-même c’est une arme. Si aujourd’hui on parle des Etats-Unis comme de la première puissance mondiale, c’est aussi parce qu’elle contrôle le marché de l’art. L’art c’est le baromètre du monde.
Qu’en est-il des états africains ?
Il commence à y avoir de plus en plus de centres d’art contemporain. Il y a Bandjoun Station, au Cameroun, la Fondation Zinsou au Bénin, d’autres au Maroc, des tonnes en Afrique du Sud. Au Congo il commence à y avoir des résidences d’artistes. Mais il faut voir quels sujets sont traités, c’est ça qui détermine la qualité du centre, le degré de liberté et la température artistique de ce pays. Nous assistons à la multiplication des fondations d’art, musées, centres d'arts contemporains etc., mais ils sont souvent créés à des fins politico-politiciennes, puis vient le volet de l’investissement financier et touristique…
Est-ce que vous vous définissez comme un artiste engagé ?
Un artiste doit être plein de mystère ! Je ne supporte pas les étiquettes, c’est une forme de ghetto. Revenons sur le discours de l’art contemporain africain. Est-ce que l’art contemporain européen existe ? Les Afriques sont diverses ! Comment on peut demander à un artiste d’avoir une si petite géographie de pensée ? Beaucoup de gens attendent que les artistes dits « africains » travaillent sur des sujets concernant l’Afrique, mais on ne demande pas aux artistes français de franciser leur travail, c’est donc une forme de ghettoisation que le système impose à ces artistes là. Je dirais même que l’art contemporain africain n’existe pas.
©Gastineau Massamba
« Moi je travaille sur les corps, pas sur l’identité. Il y a quelque chose que j’aime beaucoup chez l’homme, c’est son ombre. On ne peut pas savoir si c’est un homme ou pas, noir ou pas. Ce n'est que dans la plastique qu’on peut le voir, dans l’art. »
ZOOM
Gastineau Massamba... Et si...?
Si vous deviez partir avec un seul livre ?
Gastineau Massamba : L’Ivrogne dans la Brousse, Amos Tutuola. Ou le livre de la vie, qui nous apprend tellement de choses !
Si vous deviez en un mot définir la fonction de l’art ?
G. M. : L’émotion.
Quel est l’ingrédient indispensable à toute œuvre artistique ?
G. M. : La transgression.
Si vous deviez choisir une ville où vivre ?
G. M. : Le monde, et je la créerai s’il le faut…
Si deviez manger plus qu’un seul plat ?
G. M. : Des plats végétariens, j’ai presque tout dit !
Si vous deviez être un autre artiste ?
G. M. : Le jumeau que je n’ai jamais eu.
Quel est votre plus grand rêve de bonheur ?
G. M. : Etre moi, être entier, ce que je suis.
Propos recueillis par Anaïs Angelo