Essais / liberia

Ellen Johnson Sirleaf, une vie et deux présidences

Ohio University Press

Ellen Johnson Sirleaf : première femme présidente africaine

Ellen Jonhson Sirleaf serait-elle une femme à double visage ? C’est ce que semble dire ce petit ouvrage qui retrace l’incroyable trajectoire de la première femme présidente du Libéria.

Ce double visage se fait voir dès sa naissance, le 29 octobre 1938 à Monrovia. Ellen Johnson Sirleaf naît dans une famille aisée appartenant à l’élite métisse « américano-libérienne » du pays.

Mais contrairement à l’élite de l’époque, la jeune Ellen grandit aussi au contact du monde rural et de ses traditions locales, passant tous ses étés auprès de sa grand-mère paternelle au nord de Monrovia. Une dualité qui sera un ingrédient clé de son arrivée au pouvoir, 67 ans plus tard.

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Ellen Johnson Sirleaf à sa sortie de prison en 1980.

Eduquée au très prestigieux College of West Africa dans la capitale libérienne, la jeune Ellen se rend très vite compte que l’émancipation intellectuelle des femmes reste encore très limitée. Mariée à 17 ans, et rapidement mère de quatre enfants, Sirleaf devient secrétaire et comptable, une situation frustrante et insupportable pour celle qui rêve d’un plus grand avenir.

Après un premier voyage aux Etats-Unis en 1962 et une première participation au gouvernement au Libéria en 1965, Sirleaf naviguera entre participation à des gouvernements de plus en plus instables, faisant preuve d'une soif intarissable d’éducation, et d'une conviction croissante que seule la finance internationale est indispensable au développement des jeunes états africains – Sirleaf fait ses classes d’économie et de finance aux Etats-Unis, puis occupera un place influente au sein de grandes institutions financières, comme la Banque Mondiale ou la Banque de de Développement et d’Investissement du Libéria.

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Ellen Johnson Sirleaf et Robert Zoellick, président de la Banque Mondiale de 2007 à 2012

Tout au long de sa carrière, Sirleaf restera une pragmatique : qu’il s’agisse d’entrer au gouvernement de Samuel Doe, fondé sur le sanglant assassinat de son prédécesseur, ou qu’il s’agisse de son grand retour en politique en 1984 après plusieurs années d’exil et un désenchantement en prison, Sirleaf apparaît comme une femme indépendante et de tête, décidée à faire de son développement personnel une affaire de développement national.

C’est lors de la campagne de 2005 qui la mènera au pouvoir suprême que Sirleaf, déjà proche des organisations politiques féministes, joue sa plus forte main : elle est une femme, le symbole du renouveau politique, et le symbole de toute un pan de la population particulièrement meurtrie et bâillonnée pendant les guerres civiles de 1989 à 2003.

Sirleaf se lance alors sur les chemins boueux des villages désertés jusqu’alors par ses rivaux, les sillonne sans relâche dans l’espoir de redresser un pays ravagé par la guerre, de redonner espoir aux populations rurales, et de mobiliser les femmes, ses premiers soutiens de campagne.

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Prix Nobel de la Paix, 2011, décerné conjointement à Tawakkul Karman, activiste d'origine yéménite et fondatrice de "Femmes journalistes ans Chaînes", à Leymah Gbowee, militante libérienne du mouvement "Women of Liberia Mass Action for Peace", et à Ellen Johnson Sirleaf.

Après dix années de pouvoir (avec une réélection en 2011), que reste-t-il de ses discours contre la corruption qui ont jalonné sa carrière, et de ses espoirs que cette première femme président a suscité ?

Le bilan est mitigé. Le pays reste parmi les plus pauvres, avec un indice de développement humain classé au rang de 177 (sur 190), une croissance économique de 0,3%, encore largement dépendante du secteur de l’agriculture et fortement plombée par les récentes crises d’Ebola. Le pays reste aussi dépendant des forces internationales du maintien de la paix (MINUL), dont le retrait progressif est prévu pour le 15 décembre 2016, à moins d’un an des prochaines élections présidentielles, en octobre 2017. Une échéance qui dira si Sirleaf aura réussi à stabiliser le pays.

Sirleaf reste une femme à deux visages : celle couronnée du prix Nobel de la Paix le 7 octobre 2011, seulement quelques jours avant sa réélection à la présidence et rapidement critiquée pour la corruption de son gouvernement et ses tendances oligarchiques; celle aguerrie aux rouages de la finance internationale, mais qui n’a pas toujours su convaincre la population de l’efficacité de son action ; celle à la vision technocrate d’un gouvernement sous perfusion de l’aide internationale, et qui a dû se rendre à l’évidence face à la crise Ebola en 2014 et plus de onze mille morts : l’aide ne suffit jamais.

 

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Sirleaf faisant un discours à la nation pour présenter son plan d'action nationale contre l'Ebola

Si Sirleaf a su démontrer l’importance politique des femmes et renouveau qu’elles peuvent apporter, les dernières pages de cet ouvrage très instructif rappellent que le pouvoir révolutionnaire du genre est limité dans un environnement sous tension.

On retiendra une Sirleaf déterminée à marquer l’histoire de son ego, et pour ce faire, une fine stratège qui a su se frayer un chemin inattendu en politique, mais au prix d'éternels compromis qui assurent la survie au pouvoir.

ZOOM

Portrait et interview (en anglais) d'Ellen Johnson Sirleaf par Al Jazeera

 

Anaïs Angelo