Ce qu’il reste de la folie de Joris Lachaise
Une plongée dans la folie qui nous fait appréhender la frontière ténue qui la sépare de la « normalité ».
Ce qu’il reste de la folie de Joris Lachaise se déroule à quelques kilomètres de Dakar, à Thiaroye, dans un hôpital psychiatrique.
Ici, le blanc des couloirs, des cellules, domine, violent, gommant tout. Seuls restent les malades dans une atmosphère presque irréelle, hors du temps.
Ce n’est pas qu’un hôpital ordinaire, les médicaments, les calmants peuvent laisser la place au « tradithérapeute », à la médecine traditionnelle. Cela fait partie des soins prodigués.
On croise toutes sortes d’hommes et de femmes.
Certains soignent d’autres, qui apparaissent parfois en grande détresse. Mais les concepts et les faux-semblants volent rapidement en éclat.
L’un vous expliquera longuement sa propre conception de la folie avec justesse, ordre, méthode. La voix est claire, le discours précis… On pourrait le penser infirmier ou médecin jusqu’au moment où il expliquera sur le même ton banal, clinique, que, lui, a tué sa mère.
Un autre aura un discours parfaitement cohérent jusqu’au moment où il déclare vouloir devenir président du Sénégal car il est pour cela mandaté par Dieu lui-même.
Certains sont réellement cultivés à l’instar de cette femme cinéaste de profession qui est capable de réflexion et d’interrogation sur sa maladie et qui, sur le ton badin d’une conversation de salon, demande, au juste, quelle est la raison de son internement depuis 18 ans.
D’autres, par contre, sont trop dans leurs délires pour exister en dehors d’eux.
C’est en cela que Ce qu’il reste de la folie de Joris Lachaise est passionnant, car sans abolir la frontière de la normalité, il la rend trouble, imprécise.
Seul le médecin, par son questionnement, sa capacité d’écoute et d’analyse, échappe aux interrogations que le spectateur se pose systématiquement et finit par servir de point de repère dans cet univers sans réelle référence.
La caméra de Joris Lachaise nous plonge au plus près des gens. Les gros plans se font insistants. Les zooms sur les regards deviennent inquisiteurs à la recherche des reflets de l’âme humaine et de la conscience sur le miroir des pupilles.
Elle circule dans des couloirs lumineux où l’on croise des situations étranges, témoin oculaire muet d’un continent mental qui reste définitivement d’un autre univers.
Pas de commentaire, pas d’intermédiaire. Ce qu’il reste de la folie de Joris Lachaisenous plonge dans leur monde, en prise directe avec leurs mots, leurs vies.
Puis ce sont, dans un village, des séquences de fétichisme à but thérapeutique, avec des sacrifices de poulet ou de cabris destinés à réconcilier le malade avec lui-même et à atténuer les douleurs de la maladie.
Là aussi, on assiste en simple spectateur, sans autre commentaire que les brefs échanges des protagonistes entre eux, à la part obscure du traitement. L’irrationnel joue à plein son rôle dans les soins. Irrationnel. Pas seulement. Là, un tradithérapeute déclare, lors d’une séance de soins à un malade, « La folie n’existe pas, mon enfant… ».
Le spectateur reste définitivement à l’écart de ce monde. On reste étourdi par ce qui nous apparaît comme un univers totalement étranger présenté dans sa simplicité et sur lequel il n’est porté aucun jugement.
Cette plongée dans la folie laisse le spectateur silencieux, abandonné à ses interrogations sans réponse.
ZOOM
Le traitement de la folie est le parent pauvre de la médecine en Afrique
Si en Côte d’Ivoire, il y a 40 psychiatres pour 20 millions d’habitants, que dire des autres pays ?
De plus, la folie dérange et est fortement suspectée de sorcellerie surtout quand on croit que la maladie ou la mort ne sont jamais choses naturelles, mais toujours conséquences d’actions malfaisantes. Qui a fétiché qui ?
Autant dire que dans ces conditions, l’espace est laissé à toutes sortes de pratiques. On enchaîne le malade pour l’empêcher de nuire (?) sans autre forme de procès jusqu’aux évangélistes faiseurs de miracles et chasseurs de sorciers que l’on peut découvrir, par exemple, dans Kinshasa Kids de Marc-Henri Wajnberg.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter cet article paru en janvier 2014 dans Jeune Afrique signé Séverine Kodjo-Grandvaux : http://www.jeuneafrique.com/134777/societe/c-te-d-ivoire-conte-de-la-folie-ordinaire/
Et aussi le livre La folie en Afrique de Bougoul Badji aux éditions de l’Harmattan : https://www.laboutiqueafricavivre.com/livres/7246-la-folie-en-afrique-de-bougoul-badji-273841902X.html
Rédigé par 2Biville