Théâtre / rwanda

Radio Play, le théâtre à l’assaut de la censure radiophonique

Et plus encore…

Pour la première fois à Nairobi s’est jouée Radio Play, la pièce de théâtre qui voyage du Rwanda à l’Ouganda.

Sur le toit du centre artistique Pawa 254, un décor sobre : un bureau, quelques chaises, un écran blanc et, au fond, la vue sur Nairobi de nuit et les quelques immeubles ultra-modernes du centre-ville éclairés.

La pièce se déroule dans un studio de radio, où un DJ présente news et musique toute la journée, et n’est relayé que tard le soir par une jeune femme blanche qui anime une émission « Little Liers » (petits menteurs) où des auditeurs confient leurs secrets les plus intimes.

Mais voilà que les animateurs radios se retrouvent pris dans les rets de la censure, et des complexités socio-politiques d’une société pervertie par le mensonge et muselée par l’autocensure.

Quand vient l’heure de présenter les nouvelles, le DJ se retrouve face au casse-tête de dire précisément le contraire des informations qu’il reçoit, toutes plus tragiques les unes que les autres mais transformées en bonnes nouvelles qui annoncent un monde meilleur.

La famine de 20% des enfants de la population se retrouve ainsi boostée en « 80% des enfants très très bien nourris », les congés maternité écourtés se fonde dans l’optimisme « du parlement qui cherche à promouvoir plus de femmes pour lutter contre les problèmes générationnels » et ainsi de suite. Les interviews politiques passent de la langue de bois à la menace, sans aucun scrupule que d’inviter les journalistes à mettre leurs talents d’investigation au service de la police !

Radio Play est en effet plein de jeux de mots, d’ironie, et d’humour aussi, nécessaire pour aborder les sujets les plus délicats : l’amour et le sexe. Radio Play montre à quel point, dans une société engourdie par un conservatisme moral et par le mensonge quotidien, il devient difficile pour les auditeurs qui appellent d’exprimer les maux qui les hantent.

Quand les discussions ou confessions dérivent au-delà du contrôlable, on lance une page de pub : elles aussi sont détournées, mais cette fois pour dénoncer la langue de bois du marketing. Par exemple, l’opérateur téléphonique Kenyan Safaricom devient « Suffering.com », garantissant dettes et mauvaise qualité d’appel…

Alors que la pièce avance, le drame de la censure et autocensure s’aggrave et s’accélère, emportant avec lui les acteurs eux-mêmes qui n’ont plus aucune prise sur leur travail, sur leurs paroles. Et malgré la gravité des sujets à l’œuvre, le rire est présent pendant plus d’une heure. Un exutoire, on l’espère, prometteur.

Radio Play fut d'abord créée et jouée au Rwanda, où la radio est connue pour son tragique rôle politique pendant le génocide rwandais mais tente de se réinventer depuis pour guérir les plaies d'une société post-génocide. En s'attaquant à la radio,Radio Play touche à un sujet bien plus large en Afrique de l'Est, où le média est très populaire et très présent dans la vie de tous les jours, révélateur des tensions socio-politiques et culturelles de sociétés qui luttent encore avec et contre les mots/maux.

Radio Play at #KITF2014 from KITF on Vimeo.

ZOOM

Les acteurs-auteurs de Radio Play et la troupe Amizero Kompagnie

Dans le rôle principal du DJ et co-auteur de la pièce, l’acteur et humoriste rwandais Hervé Kimeyni, à l’affiche de plusieurs films et notamment cofondateur du très populaire Comedy Knights Rwanda.

Dans le rôle de la jeune présentatrice radio mais aussi auteure de la pièce, Elizabeth Senja Spackman, poétesse et écrivaine. Spackman travaille aussi beaucoup sur l’apprentissage de l’écriture, notamment en milieu carcéral (elle a contribué au Rhodessa Jones’s Project : Theatre for Incarcerated Women qui a voyagé entre San Francisco, Pretoria, Johannesburg et Paris).

L’écrivaine travaille aussi pour la compagnie de danse contemporaine rwandaise Amizero Kompagnie, créée en 2005 avec l’objectif de promouvoir les danseurs rwandais sur la scène internationale.

Anaïs Angelo