Sikiru Ayinde Barrister et les origines du fuji
Une musique entre tradition islamique et rythmes yoruba.
Certains courants musicaux sont indissociables du nom de leurs ambassadeurs, voire créateurs ; peut-on envisager l’afrobeat sans Fela, le reggae sans Bob Marley, ou encore le chimurenga zimbabwéen, sans Thomas Mapfumo ?
Et bien, il en est de même pour ce courant musical nigérian devenu majeur depuis les années 70, le fuji, dont il serait difficile de parler sans nommer son fondateur, où en tout cas celui qui en a défini la forme et le nom, Alhaji Sikiru Ayinde Barrister, de son vrai nom Sikiru Ayinde Balogun.
Une musique qui prend ses racines dans les rythmes du Yorubaland, ou plus exactement, de la rencontre entre les rythmes traditionnels yoruba, comme la jùju music, et ses percussions parlantes, et les rituels islamiques des Ajisari, Ajiwere (chanteurs et danseurs, appelant à la prière, durant le mois de Ramadan) et leurs dérivés musicaux : Apala, Sakara, Waka.
Puis, elle a su s’ouvrir, et se moderniser grâce à l’influence de Sikiru Ayinde Barrister, qui, tout en conservant cet enrobage hypnotique des talking drums (dumdum, gangan) et autres percussions, et la profondeur lancinante du chant mélismatique, a progressivement favorisé l’usage d’instruments complètement occidentaux, comme l’harmonica, les cuivres, et pour ses formes les plus modernes le synthé.
Mais si cette musique est teintée de spiritualité islamique ancienne, et de tradition nigériane, le nom est, quant à lui, complètement profane : Sikiru Ayinde Barrister aime à raconter que l’idée lui est venue dans un aéroport, en voyant une publicité touristique, sur le mont Fuji-Yama ; connu au Japon comme la montagne de l’amour.
Et si le genre est rapidement devenu populaire dans tout le Nigeria, s’affranchissant des barrières ethniques, et linguistiques, c’est que Sikiru Ayinde a pris soin de chanter dans toutes les principales langues du pays, bien sûr, principalement en yoruba, sa langue maternelle, mais aussi en anglais, en ibo, et en haoussa, ethnie musulmane majoritaire au nord du pays, chez qui il trouvera un écho particulièrement retentissant ; ces derniers lui accorderont d’ailleurs, le statut honorifique de « chef » (Chief, en anglais).
Laissant à la postérité un nouveau genre musical, et des dizaines de disques et cassette audio, Alhaji Chief (Dr.) Sikiru Ayinde Balogun dit Barrister s’est éteint le 16 décembre 2010 des suites d’une longue maladie.
ZOOM
Les talking drums
Ce sont des tambours dont la peau est maintenue en place par un jeu de cordes, tendues de telle manière que l’on peut, en y exerçant une pression, moduler le son sur plusieurs tonalités, donnant ainsi l’impression d’une percussion parlante.
Appelé Dumdum et gangan par les Yoruba, on les retrouve sous différentes appellations un peu partout en Afrique : tama chez les Wolofs et les Mandingues, kalangu pour les Haoussa, odondo chez les Akans, ou encore lunna chez les Mossi et More du Burkina.
À savoir que des instruments similaires existent également dans les traditions indiennes et japonaises.
Aodren Pecnard