Souveraine Magnifique d'Eugène Ebodé
Gallimard
Après La Rose dans le bus jaune qui donnait la parole à Rosa Parks, Eugène Ebodé fait de nouveau œuvre de mémoire avec Souveraine Magnifique.
Récit d’une rescapée du génocide rwandais de 1994, le huitième roman d'Eugène Ebodé, à mi-chemin entre le témoignage et la fiction, raconte la difficile cohabitation et réconciliation des victimes et des bourreaux.
Déconcerté par la lecture de l’étonnant verdict d’un procès qui oblige une jeune femme à cogérer une vache avec le meurtrier de ses parents, le narrateur, camerounais, part au pays des Mille Collines pour tenter de comprendre ce qui a pu mener à pareille situation.
Il rencontre Souveraine et sa vache Doliba. Les souvenirs de la survivante, âgée de 8 ans lors de la « saison des raccourcissements », affluent pour raconter l’indicible : les haines gangrenant son pays, le son de la radio des Milles Collines, les « moissons de crânes et de jarrets » et le massacre de ses parents auquel elle assiste, juchée sur une armoire.
Elle évoque aussi la protection d’une famille musulmane, sa fuite au Congo pour sauver sa peau, son exil qui dura quinze ans, puis son retour pour confondre le bourreau de ses proches lors d'une juridiction de la palabre. En 2001, les tribunaux réguliers étant débordés, les criminels qui avouent leurs forfaits sont jugés selon la coutume de la gacaca (le mot signifie « herbe verte », celle sur laquelle on prenait place jadis, à l’abri des rayons du soleil, pour se parler et régler les litiges). C'est le cas de Modeste Constellation, l'assassin des parents de Souveraine.
Puissant témoignage sur les « vastes massacres qui se sont abattus sur le Rwanda en 1994 avec la fureur de cyclones sanglants », qui nous interpelle sur la banalisation du mal, Souveraine Magnifique d'Eugène Ebodé interroge aussi la reconstruction sociale du pays, la reprise « d'une communauté de destin ». À la question : « Mais vous, votre avenir, c’est quoi ? », Souveraine répond : « Des pointillés sur une feuille blanche. »
Gageons que les mots de l’auteur, à distance juste avec son sujet et « passerelles de prévention et de mémoire », parviennent à opposer un projet de vie à la folie meurtrière.
Eugène Ébodé parle de son dernier livre Souveraine Magnifique
ZOOM
Le Rwanda, vingt ans après le génocide : une difficile réconciliation
Le cas du Rwanda est unique.
Vingt ans après le génocide, commémoré en avril dernier, qui décima en l'espace de 100 jours près d'un million de personnes, le Rwanda, dirigé par Paul Kagamé, est un pays moderne. L’économie est en croissance, l'administration efficiente, la corruption considérablement réduite. L'éducation et la santé sont parmi les meilleurs d'Afrique.
Mais alors que le pays meurtri a su se reconstruire, des fractures demeurent au sein de la société. La disparition de toute référence aux identités d'origine afin de lutter contre le « divisionnisme » n'a pas effacé les rancœurs.
Le régime de Kagamé, de plus en plus autoritaire au fil des années et considéré comme un gouvernement de revanche ethnique par un certain nombre d'Hutus, maintient la paix sociale coûte que coûte quitte à museler l'opposition, éluder les crimes commis par le FPR et à corseter idéologiquement le pays.
Car vingt ans après le génocide, la réconciliation nationale est fragile. L'histoire tragique, dont la jeunesse rwandaise est le gardien, n'est toujours pas transmise dans les écoles. Le négationnisme subsiste aussi. Et des conflits de mémoire existent entre ceux qui souhaitent tourner la page et ceux qui veulent libérer un espace de parole.
Selon une étude gouvernementale, 40 % de la population rwandaise pense possible un nouveau génocide.
Sarah Gastel