Hope de Boris Lojkine - ou la solitude de l'immigration
Hope est une femme. Oui, une femme. Est-ce si rare une femme qui tente le dur chemin de l'immigration vers l'Europe ? Ou bien est-ce si surprenant, parce que si vulnérable ?
Hope met en scène et suit deux personnages, Léonard et Hope, qui se rencontrent au cours du même périple, celui qui traverse le Sahara.
Ces deux personnages ne seront pas tant liés par le même destin - celui de l'espoir peut-être - que par l'accident : le viol et l'abandon.
Alors que le film s'ouvre sur la violence faite aux femmes migrantes, devenues des proies faciles, on découvre un Léonard, Camerounais, submergé de compassion devant une Hope, Nigériane, laissée sans défense, bien qu'il hésite malgré tout à mettre en danger son propre espoir. Très vite, il est pris au piège de ses doutes, qui seront comme fers à son pied dans un monde sans allié et sans issue.
Documentaire-fiction, tourné avec des acteurs amateurs qui ont vécu la dureté de l'immigration, Hope de Boris Lojkine nous plonge dans l'entre deux du départ et de l'arrivée : les escales, avec leurs ghettos organisés par nationalité et gouvernés par de véritables mafias.
Ce sont dans ces ghettos installés dans les ruines alentours des villes en Algérie ou au Maroc, que font étape, bien souvent malgré eux, les migrants. C'est là que l'engrenage infernal commence : d'un côté, ils ne peuvent y échapper, au risque d'être pris par la police; de l'autre, dès qu'ils y entrent, ils deviennent de simples clients de "chairmen" (petits chefs) qui exploitent leur vulnérabilité pour "multiplier l'argent".
La solitude devient leur seul compagnon de voyage possible. Alors que Hope tente de raconter une impossible histoire d'amour, c'est à l'inverse que l'on assiste; comme si rien ne pouvait résister à cette réalité d'une humanité qui interdit, par la menace, la peur, l'humiliation, la prostitution et le crime, toute complicité.
Quant à l'union entre un Camerounais et une Nigériane, c'est pire encore puisqu'elle défie les lois, et la raison d'être, du ghetto. Lorsque tout lien social et humain a disparu, seuls demeurent des rapports de pouvoir, la domination pure et dure. Devant l'homme qui n'est rien, l'homme fatigué qui reste assis, se dresse le dominateur, ces chairmen, ces chefs mafieux qui savent bien qu'il n'y a aucune route par laquelle s'enfuir.
La complicité policière ne fait qu'enfermer un peu plus ces migrants dans cette prison à ciel ouvert. Et pourtant, le film et son personnage principal s'appellent Hope… Quel espoir demeure cependant ? L'histoire qui prend à la gorge ne laisse que peu entrevoir un espoir quelconque - quand on comprend bien que l'horizon européen ne saura guérir les plaies de ce voyage.
Mais c'est aussi là que réside toute la force du film : évitant tout pathos et tout angélisme, Boris Lojkine, le réalisateur, nous met face à une réalité crue, une exploitation de l'homme par l'homme qui ne connait pas de répit, ni aucun sentiment. Lui-même s'en tient à une photographie au plus proche du réel - laissant le spectateur se frayer un chemin dans l'obscurité de la clandestinité.
Un très beau mais aussi très triste film, qui revisite un thème bien connu certes, mais dont l'inhumanité ne saurait se résoudre à la banalité.
Hope - Bande annonce
ZOOM
Boris Lojkine, réalisateur à l'écoute de ce qu'on ne nomme jamais
Né en 1969, Boris Lojkine, est diplômé de l'Ecole Normale Supérieure de Paris, et a enseigné la philosophie à l'Université d'Aix-en-Provence, avant de se tourner vers la réalisation de films documentaires.
Hope est son premier film de fiction, déjà bien reçu par la critique (Festival de Cannes 2014, Semaine de la Critique, Rail d'or et Prix SACD ; Festival d'Angoulême 2014, Valois de la mise en scène et Prix des étudiants ; Festival de Hambourg 2014, Prix de la critique ; Festival de Châtenay Malabry 2014, Grand prix du jury).
Dans une interview radiophonique (à écouter ici), Lojkine raconte qu'il avait déjà écrit le scénario du film avant de se lancer sur le terrain, à la rencontre de migrants.
Il découvre alors une réalité toute autre que celle qu'il avait imaginée, plus crue, qui le fait réfléchir sur les rapports de domination, sur l'instrumentalisation des nationalités organisées en ghetto, sur le pouvoir de la parole qui évite toujours de nommer la réalité.
Les récits poignants de femmes qui témoignent de la face la plus sombre de leur périple, celle de la prostitution - qu'on nomme "débrouille" dans le milieu - l'amène à réorienter son film, à le réécrire, intégrant sans hésiter les improvisations des acteurs.
Anaïs Angelo