Le salon de coiffure de Mme Khumalo n'est pas très bien indiqué, mais on le trouve facilement : Vimbai y a démontré ses talents de coiffeuse, la meilleure de Harare.
Mais en un jour, sa réputation bascule. Un jeune homme du nom de Dumisani, prouve que la coiffure n'est pas qu'une affaire de femme, et, convint à coup de ciseaux Mme Khumalo de l'engager. Il conquiert rapidement les clientes de Vimbai. Le roman retrace la tortueuse relation qui nait entre ces deux jeunes personnages.
Image: http://museumofuncutfunk.com/2010/04/12/barber-and-hairdressing-signs-of-africa/
Vimbai elle-même nous raconte son histoire. Elle connait la fin, et nous tient en haleine au fil des chapitres, nous faisant nous attendre au pire, aux regrets, aux remords. Le caractère énigmatique de Dumisani n'en est que plus exacerbé, et c'est à tâtons qu'on découvre une vie d'ange déchu.
Dernière les intrigues personnelles, ces personnages se révèlent liés par une lutte commune : la quête de survie dans l'étouffement d'un Harare poussiéreux, où l'incessant trafic automobile terrorise ceux qui ont voulu éviter les bus (combis) surchargés, sous un soleil terrassant ou une pluie boueuse.
Etouffement d'une économie en faillite, où l'inflation qui pousse tout un chacun aux acrobaties les plus grotesques pour trouver sucre ou farine, où les factures s'empilent, où les salaires valent tout un jour et rien le lendemain. Etouffement de la peur d'un régime autoritaire qui règne sur ses privilèges par la force de ses milices, les "vétérans". Etouffement spirituel, où les individus, constamment traqués, se réfugient sous la chape de plomb des bonnes moeurs, prêchés en coeur par les églises évangélistes ou les représentants du gouvernement.
Tendai Huchu. Image: http://www.tendaihuchu.com/
Tendai Huchu peint avec brio des personnages qui n'arrivent pas à exprimer leur personnalité, à vivre une vie qu'ils ne peuvent même pas choisir. C'est dans ce contexte d'étouffement que Le meilleur coiffeur de Harare dénonce le discours homophobe qui règne en silence dans la ville.
L'auteur montre que cette haine mêlée de peur contre les homosexuels est entretenue par cet univers où tout vivre ensemble est impossible. Travail, fatigue, jalousies, espoirs déçus ensevelis par le secret les empêchent de tisser quelconque relation d'amour ou d'amitié. Le chacun pour soi s'impose un peu plus chaque jour, les familles s'écartèlent par delà la jungle urbaine qui les tient prisonniers, et souvent, se déchirent.
Huchu dépeint en toute simplicité ces portraits d'invisibles. Il assortit le tout d'une intrigue captivante, mêlant les intrigues de pouvoir au salon de coiffure. Publié en anglais en 2010, Le meilleur coiffeur de Harare est son premier livre. Fort bien reçu par la critique, il a été traduit en plusieurs langues, en français en 2014.
Pour écouter une interview de l'auteur en anglais / Listen to an interview with the author, Tendai Huchu : http://www.bbc.com/news/world-africa-17401504
ZOOM
Le tabou qui s'expose: l'(anti-)homosexualité, croisade politique de 38 pays africains.
L'homosexualité est encore considérée comme un crime dans 38 pays africains.Une incrimination qui cache mal ses atours politiques. Dénonçant l'homosexualité comme un comportement animal, contraire à toute humanité, les discours homophobes sont bien plus qu'une lutte de moeurs. Ils participent d'une lutte pour reconquérir, par le biais moral, un électorat en mal de confiance face à des conditions de vie de plus en plus dégradées.
Le cas de l'Afrique du Sud est significatif à cet égard. En 1994, la constitution de l'Afrique du Sud indépendante et post-apartheid consacrait une avancée significative pour la protection des droits des homosexuels. En 1998, une loi revint sur ces droits et déclara tout acte homosexuel illégal. Quand bien même les homosexuels ont obtenu depuis d'importantes victoires pour défendre leurs droits, ils sont toujours la cible de violentes rhétoriques politiques (voirVincent, L., & Howell, S. (2014). “‘Unnatural’, ‘Un-African’ and ‘Ungodly’: Homophobic discourse in democratic South Africa.” Sexualities, 17(4), 472-483).
Au Zimbabwe, la croisade homophobe se poursuit depuis l'indépendance, régulièrement nourrie par des déclarations politiques. Un des arguments principaux veut que l'homosexualité soit un legs colonial - l'homosexualité était d'ailleurs déjà interdite par la législation coloniale - de fait, extérieur à l'identité africaine en particulier, à l'humanité en général.
La cause des droits des homosexuels est rendue bien difficile par cet argumentaire qui dépouille certains individus du droit d'exister. Par le biais de la littérature, Tendai Huchu rappelle que l'enjeu le plus important n'est pas seulement une affaire de droits et de constitution. C'est une affaire de vivre ensemble. Et de ce fait, cela dépasse totalement la cause des homosexuels.
C'est tout une société qui doit réapprendre la liberté.
Anaïs Angelo