Brenda Fassie: la Madonna sud-africaine des années 80
(Re-)Découvrez la reine du disco kwaito.
Elle fait partie du décor de jeunesse de Binyavanga Wainana, faisait danser les boîtes où l'écrivain allait se défouler pendant ses années sud-africaines.
Au fil des pages des mémoires de l'écrivain kenyan Binyavanga Wainana (lire notre chronique One Day I will Write About this Place), Brenda Fassie apparait comme une figure étrange, une espèce de déesse que l'adulation transforma en démon. Une féroce mutation dont Wainana rend compte avec une force presque macabre et scatologique, décrivant une star de l'afro-pop qui dans les années 1990, hurlait, s'accrochait à son micro, et sombrait toujours un peu plus dans la drogue.
La carrière de Brenda Fassie fut aussi controversée que sulfureuse, mais ne résista pas à sa force de caractère phénoménale. Elle fut et reste une figure iconique de l'Afrique du Sud : la Madonna des années 1980; le Times Magazine la surnomma la Madonne des bidonvilles en 2001 (un terme cependant que certains dénoncent, voir le Zoom Sur ci-après).
Née dans le township de Langa en 1964, Brenda Fassie fit de sa voix son unique arme pour se frayer un chemin jusqu'aux scènes de Joburg. A 16 ans à peine, elle devint la voix des Noirs sud-africains en lutte contre l'apartheid. Elle chantait Black President quand Nelson Mandela était encore en prison.
Sur la même pochette de disque, on pouvait lire le titre Shoot them before they grow (« Tue les avant qu'ils grandissent »), un dialogue imaginaire entre un libéral et conservateur raciste sud-africains devisant sur le futur de la jeunesse noire.
Sa carrière ne fut pas seulement fulgurante, elle fut irrésistible. Brenda Fassie est encore célébrée dans toute l'Afrique du Sud pour sa voix magique, sa voix du futur comme la décrivait son producteur Mr. Lebona. Une voix qui rappelle à certains égards la gravité d'une Miriam Makeba, mais que Brenda fit vibrer sur des rythmes nouveaux – ceux du kwaito. Son premier tube, Week-end special, qui fit danser Noirs et Blancs ensemble, donna le "la" au disco sud-africain des années 1980.
Brenda enchaîne les succès, les ventes coulent à flots. La jeune femme révéle alors son caractère à scandale. Alcool, concerts manqués, drogue, mariage raté, de quoi faire pâlir les Rolling Stones diront certains. Plus révolutionnaire encore, elle se déclare féministe et lesbienne - ce qui n'avait pas encore de nom propre à l'époque. Winnie Mandela était la « mère de la nation »? Brenda se déclarait la « petite-amie de la nation ».
Et malgré tout, elle était bien irrésistible, et devint le visage et la voix d'une Afrique du Sud en mutation. Son secret ? Sa voix peut-être, son style musical entre innovation et folklore, et, qui sait, cette vie décousue, pleines de frasques et fracas, se débattant dans la drogue et les cris. Le fait est que personne ne sait vraiment. Brenda Fassie était un phénomène, tout simplement
Après un passage à vide au milieu des années 1990 (lire Brenda Fassie, une vie en gros titres), Brenda Fassie revint à l'assaut de la scène, avec un nouveau best-seller Vulindlela (que l'on pourrait traduire par « Tracer son chemin ») qui fut un tel succès que l'ANC l'utilisa pour sa campagne électorale de 1999 (Mandela se retire alors de la vie politique, cinq ans après l'accession à l'indépendance).
Raflant prix sur prix,Brenda Fassie n'avait peur de rien et défiait tout : « Je serai Pape l'année prochaine. Rien est impossible. »
Le 24 mai 2004, une crise d'asthme met fin à sa carrière, à 39 ans. Elle avait su entretenir l'adulation des foules tout au long de ses 20 ans de carrière; celles-ci, en retour, l'ont conservée dans leurs mémoires.
* Pour aller plus loin : David B. Coplan, "God rock Africa : Thoughts on politics in popular black performance in South Africa", African Studies, 64, 1, 2005. Numéro spécial sur les médias, la mémoire et l'imaginaire politique en Afrique du Sud.
ZOOM
Une toute récente biographie
Le journaliste-éditeur du magazine Rolling Stones, Bongani Madondo a publié en juin 2014 I’m Not Your Weekend Special, une biographie qui s'interroge sur le parcours hors normes de la chanteuse, parcourant les méandres de cette vie musicale à travers des interviews entremêlées de réflexions sur la tortueuse histoire de l'Afrique du Sud.
Dans une interview à VanguardStyle, l'auteur raconte comment il est "tombé amoureux" de cette chanteuse qui a cristallisé la colère d'une Afrique du Sud brisée par l'apartheid, remettant au goût du jour une musique véritablement africaine. Il rejette fermement l'appellation "Madonne des Townships", qu'il considère injustement racialisée; après-tout, on appelle ni Elvis ni Michael Jackson les rois de la musique trans-africaine...
Sur l'origine du livre il raconte :
J'ai toujours voulu écrire quelque chose de substantiel sur Brenda Fassie, le phénomène d'une artiste, femme, noire et rebelle dans le monde de la pop, contrairement à ce que beaucoup attendent d'un radical Noir politisé. J'étais intéressé par cet activisme noir qui synthétise à la fois l'ethos du rock'n'roll et la sensibilité musicale africaine. Je voulais aussi souligner quelques aspects de la vie de Brenda que les médias ont été réticents à explorer, ses racines, ses voyages, ses souvenirs de famille, et l'esprit de résistance si caractéristique de sa personnalité... Je ne voulais pas seulement une biographie psychologique, mais aussi une critique musicale et politique comme acte d'engagement, comme acte d'amour.
Bongani Madondo, I’m Not Your Weekend Special, Picador Africa (2014).
Anaïs Angelo