Timbuktu, le coup de maître d'Abderrahmane Sissako
Le Pacte
Le dernier film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako est une dénonciation de l’intégrisme musulman ayant sévit au Nord Mali en 2012. Prix œcuménique et Prix François-Chalais au Festival de Cannes 2014, il est également une déclaration d’amour au Mali et à ses habitants.
Le récit se situe dans la région du Nord Mali. Les djihadistes se sont emparés du pouvoir.
Ils sèment la terreur dans la ville de Tombouctou et instaurent de nouvelles lois particulièrement misogynes. La population les subit, impuissante mais digne. Les actes de résistances sont bien vite étouffés par un tribunal de circonstance, arbitraire et cruel.
Kidane, le personnage principal, vit paisiblement dans le désert proche de Tombouctou, avec sa femme Satima, sa fille Toya et Issan, son jeune berger. Sa vie semble quelque temps préservée de toute la folie et de la violence environnante.
Son destin bascule cependant lorsqu’il tue accidentellement Amadou le pêcheur, responsable de la mort de GPS, sa vache préférée. La sentence ne se fait pas attendre, la fin tragique non plus. Le film s’achève sur un monde qui semble envahi par des hommes qui, par excès de foi et de loi, rendent la vie sur terre impossible.
Timbuktu d’Abderrahmane Sissako montre un visage du terrorisme religieux, sans cliché et sans manichéisme. Ces individus sont parfois ridiculisés comme dans la scène où le jeune djihadiste se fait sermonner pour ses piètres performances d’acteur. Ce dernier tente de réaliser, un face caméra, une vidéo promotionnelle pour le Djihad. Il explique son chemin de repentance d’ancien rappeur. La scène est cocasse.
Certains djihadistes disposent d’une artillerie complète de téléphones cellulaires. D’autres parlent football mondial, Zidane et médicaments génériques. Aucun doute, ils vivent au XXIème siècle. Ils restent néanmoins archaïques lorsqu’il est question de droits de l’Homme. Le mariage forcé, la lapidation, l’exécution des suites d’un jugement sommaire et l’emprisonnement arbitraire y sont dépeints comme légaux car autorisés par Dieu dont ils semblent être la main directe.
En contre-pied de cette vision apocalyptique, semble se dessiner un Mali au paysage enchanteur, à la douceur et à la joie de vivre inégalable (l’ironie veut que dans les faits le film ait été tourné en Mauritanie).
La scène où la chanteuse malienne Fatoumata Diawara, à l’abri des regards, lascive et simplement vêtue, chante comme elle pousserait un cri du cœur, est d’une beauté à couper le souffle. Tous les personnages sont d’une égale dignité et d’une beauté sans nom.
L’esthétisation des images et des personnages est recherchée. Plusieurs scènes – celle des enfants jouant au football, toutes celles dans lesquelles apparaît la femme « sorcière » interprétée par Kettly Noel au charisme irradiant – sont pleines d’un humour et d’une fraicheur les rendant vraies et émouvantes.
Timbuktu d’Abderrahmane Sissako - Bande annonce
ZOOM
27 ans de carrière, 16 films et 5 prix au festival de Cannes
Le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako grandit au Mali.
Il débute sa carrière en 1993 en réalisant plusieurs court-métrages dont Octobre, sélection Un certain regard au Festival de Cannes cette même année. Par la suite, il s’illustre dans le tournage de films souvent engagés, toujours humanistes.
En 27 ans de carrière, il tourne 16 films dont 5 ayant reçu un prix au festival de Cannes. En 2006, son film Bamako, traitant des relations Nord-Sud est remarqué et offre au réalisateur une place d’honneur dans le monde du cinéma international.
Eva Dréano