Interview du sculpteur sénégalais Djiadi Diop
Djiadi Diop, sculpteur sénégalais, diplômé des Beaux Arts, est un artiste contemporain se définissant comme citoyen du monde et un homme parmi les hommes.
Le travail de Djiadi Diop lui a valu la reconnaissance de ses pairs et ses œuvres les plus connues ne sont plus à présenter tant il a su apporter un souffle original et nouveau au travers de ses sculptures à taille humaine. On lui doit notamment une collaboration avec le palais le plus connu de France, celui de l’Elysée puisqu’il a eu l’opportunité d’habiller son jardin avec ses œuvres à l’occasion de la journée du patrimoine. Rencontre et interview à la Galerie 55Bellechasse.
On constate en découvrant vos sculptures que le rapport à la taille est une chose fondamentale pour vous. Est-ce une manière de captiver l’œil du spectateur ?
Djiadi Diop : Le grand format chez le sculpteur est ce qu’il y a de plus ultime. Lorsqu’on fait un grand format, évidemment c’est visible de loin mais c’est surtout la façon la plus généreuse de proposer quelque chose. Ce ne doit pas être quelque chose qui ne se voit que parce qu’on sait que c’est là mais plutôt quelque chose qui se voit parce que ça se donne. En fait, c’est cela le principe du travail en monumental, ce n’est pas forcément de la mégalomanie même si il y en a un petit peu, c’est plutôt un don et ça permet d’avoir un impact immédiat sur un grand nombre de personnes.
Bertrand Scholler, le galeriste du 55Bellechasse, dit de vos œuvres qu’elles sont « essentielles, intemporelles et universelles ». Etes-vous d’accord avec cette définition ?
Djiadi Diop : A partir du moment où le travail est fait, l’impact qu’il a sur les autres est vrai puisque c’est la façon dont les autres le ressentent. Personnellement lorsque je travaille, le terme universel est quelque chose qui m’échappe. C’est un trop grand mot pour moi. Par contre, fédérateur, ça j’aime bien. Universel étant un mot que je ne maîtrise pas.
Parlons de la prédominance du rouge qui est la couleur que vous avez choisi pour habiller vos sculptures, pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Djiadi Diop : Le rouge est une couleur assez violente, ce n’est pas pour rien que je l’ai utilisé, justement cette violence par la couleur, par le reflet, est un outil pour moi, pour captiver notamment. Les formes seraient là aussi sans cette couleur, aussi elle a une deuxième fonction, qui n’est pas la moins importante, cette couleur me permet de parler de tout le monde en même temps.
C’est la couleur qui me permet de fédérer, puisque je traite mes œuvres comme si leur peau était transparente et qu’on voyait la couleur qu’il y avait à l’intérieur et ce dans le but que tout le monde puisse s’identifier à mon travail puisque je ne cherche pas à représenter des représentations géographiques mais terrestres de l’homme sur terre et non pas l’homme qui viendrait du nord, du sud, de l’est ou de l’ouest. Donc le rouge est ce qui me permet de parler de tout le monde en même temps.
Votre œuvre « Dans le bonheur, 2009 » que nous pouvons admirer devant la Cité Nationale de l’histoire de l’immigration (notre photo), représente un homme en train de nager en quête de quelque chose. Avez-vous une définition du bonheur ?
Djiadi Diop : Ma façon de matérialiser le bonheur c’est la terre. Le bonheur premier c’est de pouvoir se nourrir et c’est la terre qui nous le donne. C’est aussi de pouvoir s’abriter, et c’est grâce à la terre que l’on s’abrite. Tous les matériaux qui servent à nous abriter viennent de la terre. Même nous, nous sommes constitués d’éléments qui viennent de la terre. Pour moi le premier des bonheurs c’est la terre, c’est pour cela que je fais ce jeu de mot « nager dans le bonheur, nager dans la terre ».
Du Sénégal à la France en passant par la Côte d’Ivoire, vos œuvres sont mondialement connues et soulignent des questions d’identité, d’exil et de violence. Ce questionnement perpétuel sur les rapports humains est-il synonyme d’une quête intime de votre identité en tant qu’homme face au monde ?
Djiadi Diop : Non. Il est vrai que je me suis posé la question mais en parlant d’identité et d’exil c’est plutôt les autres qui m’intéressent, ce n’est pas vraiment ma personne. Evidemment en s’intéressant aux autres, on s’intéresse aussi à soi.
Et puis on est le reflet des autres et les autres sont le reflet de nous. On ne peut pas vivre sans se comparer à une autre personne comme on ne peut pas vivre sans voir et en faisant semblant de ne pas prendre en compte l’autre. On est tous l’autre de quelqu’un et ce qui m’intéresse c’est de parler des autres.
Je me suis posé la question du « qui suis-je » et pour répondre à votre question je pense que je suis aussi l’autre. Je suis l’autre de quelqu’un. Je ne me vois pas forcément en tant que moi, je me vois aussi par rapport aux autres. Je peux dire aujourd’hui que j’aime être l’autre.
Depuis votre arrivée en France en 1994 à la reconnaissance que vous avez aujourd’hui, vous avez fait un parcours remarquable. Quels ont été les moteurs qui vous ont permis d’avancer ?
Djiadi Diop : Ce qui me pousse vraiment à avancer c’est cette quête de bonheur. Cette recherche de l’équilibre entre l’homme et ce qui l’entoure, par le biais de mon travail et à mon humble niveau, est ma petite contribution sous forme de question posée. Si j’arrive à faire se questionner les autres, pour moi j’ai réussi. Je ne cherche pas à être un prophète. Je veux juste me poser des questions à moi, et montrer aux autres les questions que je me pose. Je reste persuadé que je ne suis pas le seul à me poser des questions.
Aujourd’hui, vous vous définissez comme un artiste dakarois, parisien ou citoyen du monde ?
Djiadi Diop : Je suis citoyen du monde et je me suis toujours considéré comme ça, même avant de venir en France. Je vis en région parisienne et on peut dire que je suis un dakarois qui se sent très bien à Paris.
Avez-vous des projets en cours ou à venir dont vous aimeriez nous parler ?
Djiadi Diop : Je prépare une exposition prévue pour le mois d’octobre qui aura lieu dans la très célèbre piscine Molitor dans le 16ème arrondissement de Paris. Mes œuvres seront exposées dans les cabines qui seront transformées en lieu d’exposition. L’idée est de surprendre le visiteur qui, en ouvrant la porte d’une cabine, tombera sur une œuvre d’art. Je fais partie de la sélection des artistes invités à exposer pour cet évènement et j’en suis ravi.
55Bellechasse Summer 2014
ZOOM
La Galerie 55Bellechasse, la pépite des artistes contemporains
Situé dans le très bourgeois 7ème arrondissement de Paris, ce nouveau lieu a ouvert ses portes en février 2013 à l’initiative de Bertrand Scholler.
Ce galeriste passionné d’Art, s’est entouré d’amis et a mis en place ce projet avec l’ambition de faire de sa galerie une référence dans le Monde de l’Art.
Ce lieu permet de découvrir des artistes de renommée internationale, ayant choisi Paris comme point d’attache, et qui, dans le cadre d’une rétrospective de leur travail, se mettent à nu face au visiteur.
« Cette volonté nous vient du constat que les visiteurs de galerie, excepté les collectionneurs de l’artiste, ne connaissent pas leur parcours. Nous pensons ainsi faciliter une véritable rencontre entre un artiste et un "acheteur" ». Bertrand Scholler.
Diane N.