Kandy Guira, auteure d’une pop-folk burkinabée envoûtante
Après « M’Ba » (« maman » en dioula), premier album sorti en 2009 au Burkina Faso, son pays, la chanteuse Kandy Guira travaille à l’enregistrement de son nouvel opus, « Béogo » (« demain » en moré).
Africa Vivre : On vous voit souvent sur scène auprès d’artistes comme Cheick Tidiane Seck, Amadou et Mariam… Mais vous avez également un nouveau projet d’album. Qu’en est-il ?
Kandy Guira : Oui, j’ai été invitée par ces artistes à chanter auprès d’eux sur pas mal de scènes au printemps et en ce début d’été. Avec Cheick Tidiane Seck, mais aussi avec la troupe du Bal de l’Afrique enchantée que j’ai accompagnée à Montréal au Festival Nuits d’Afrique en juillet. J’en ai d’ailleurs profité pour faire un concert de mon répertoire là-bas et le public a beaucoup apprécié.
Actuellement, je travaille à l’enregistrement des derniers titres de mon prochain album, « Béogo » qui signifie « l’avenir » en moré. On peut aussi le traduire par « demain ». Afin de financer cet album, j’ai lancé un projet sur Kiss Kiss Bank Bank, un appel pour récolter 4 000 euros mais ça n’a pas été concluant. Je cherche donc aujourd’hui d’autres partenaires pour finaliser mon second album.
Comment qualifieriez-vous votre musique ?
Kandy Guira : A mes yeux, il s’agit de folk burkinabé. On a tendance à dire « world musique » mais c’est un terme fourre-tout… Je pars de la création traditionnelle de mon pays que j’essaie de moderniser "à ma sauce".
Kandy Guira a accompagné en juillet la troupe du Bal de l’Afrique enchantée au festival Nuits d'Afrique à Montréal.
Quels thèmes abordez-vous dans vos chansons ?
Kandy Guira : L’amour, le respect dû à autrui, celui dû à la femme… L’existence de la femme même car nous sommes à la fois les piliers du monde mais aussi les personnes les plus persécutées. On mérite plus de respect.
Dans le titre « M’ba » qui veut dire « mère » en langue dioula, je parle de ma mère. Il lui est très difficile de me voir chanter. Ce n’était pas la carrière qu’elle souhaitait pour moi. Dans cette chanson, je lui demande pardon en lui expliquant que je comprends ce qu’elle me dit mais que c’est mon étoile qui a choisi l’art et la musique pour moi. Et j’attends d’elle qu’elle me donne enfin sa bénédiction. Et dieu merci, cette chanson a apaisé son cœur quand elle est sortie.
Vous savez, cette chanson a eu beaucoup de succès au Burkina Faso. Quand je participais à des émissions de radio, les gens appelaient le standard et avaient les larmes aux yeux en parlant de ce titre. Certains expliquaient même qu’ils auraient aimé avoir le courage de dire les mêmes choses à leur mère.
Quand avez-vous écrit ce titre ?
Kandy Guira : Je l’ai composée en 2007, j’étais encore à Ouagadougou. La première fois que je l’ai chanté en live, c’était sur un plateau télé et mon père et moi nous étions arrangés pour que ma mère soit présente dans le public. L’animateur qui était au courant de sa venue a fait monter ma mère sur scène… J’étais tellement émue ce jour-là !
Et finalement, ce titre « M’ba » a été le titre éponyme de votre premier album sorti en 2009 au Burkina Faso ?
Kandy Guira : Oui, ce premier album, je l’ai dédié à ma mère également. Il contient sept titres et un remix. Or, même si la chanson titre a eu beaucoup de succès, l’album est mort dans l’œuf, comme on dit… Le manque de promotion a fait qu’on n’en a pas entendu parler ou presque… Et quelques mois après sa sortie, je suis partie en France.
Dans votre prochain opus « Bénogo », souhaitez-vous reprendre certains titres de cet album sorti exclusivement au Burkina ?
Kandy Guira : Oui, effectivement. Je reprendrai certains titres forts de mon premier album.
Quels en seront les thèmes cette fois-ci ?
Kandy Guira : La femme, encore et toujours. (Rires). Mais pas seulement, je parlerai aussi des enfants et de l'intolérance.
J’ai un titre dans lequel je dis qu’il faut dire aux gens qu’on aime qu’on les aime tant qu’on les a en face de nous. Cela fait référence à une anecdote personnelle avec mon père. Quand j’étais petite, mon père ne me faisait jamais de compliment quand je cuisinais bien. Il n'en faisait que lorsque je cuisinais mal. Or, je suis persuadée que ce n’est pas comme cela qu’il faut élever un enfant.
J’ai aussi une chanson dans laquelle je dis « si j’avais une baguette magique, je souhaiterais pouvoir faire telle chose ou telle autre… ». Je raconte par exemple que chez moi au Burkina Faso, on dit qu’on n’a pas d’argent mais, paradoxalement on a de l’argent pour construire un Sénat alors que la population crève de faim et qu’on importe le riz.
Enfin, j’ai un titre qui me touche particulièrement et qui s’intitule « comme toi ». Il parle de l'intolérance face au handicap. Mon petit frère est sourd et muet. Il a eu la méningite à l’âge de deux ans et cette maladie l’a rendu sourd et muet. A la maison, quand je suis revenue pour la première fois, après deux ans passés en France, de jeunes garçons sont venus chercher Aziz mon frère. L’un d’entre eux a demandé « le sourd », et je lui ai fait remarquer que la personne qu’il cherchait avait un prénom, comme lui. Et depuis lors, il demande Aziz. C’est cette anecdote qui m’a conduite à écrire un texte sur ce thème. J’ai d’ailleurs créé une association qui envoie des appareils auditifs personnalisés aux écoles du Burkina Faso, et notamment à l’école de mon frère. Elle s’appelle « Nousondiaso », « la maison du bonheur » en dioula, et l’association qui nous donne les appareils s’appelle « Juste un sourire ».
Vous vous inspirez beaucoup de votre quotidien…
Kandy Guira : Oui et en particulier de ce qui m’agace. (Rires). Mes thèmes ont changé depuis que je suis en France. J’ai une autre vision de la France. Je ne veux pas que les gens « meurent de venir ici ». Je veux alerter les Burkinabés sur le fait que l’autre côté n’est pas toujours mieux… C’est juste un lieu différent finalement… J’ai une chanson qui parle un peu de l’envie d’émigrer dans laquelle j’ai ces mots : « ce n’est pas parce que tu n’es jamais allé de l’autre côté de la mer que c’est forcément mieux ». Maintenant que je connais la France, je ne sais pas si je pense que c’est mieux en fait…
En quelles langues chantez-vous ?
Kandy Guira : En moré, dioula, français et bientôt anglais.
Où avez-vous grandi Kandy ?
Kandy Guira : Je suis née en Côte d’Ivoire, à Yamoussoukro et j’ai vécu à Abidjan ma petite enfance jusqu’à mes 8 ans. Ensuite ma famille a déménagé à Ouagadougou dans un environnement moréphone.
Qu’est-ce qui vous a amené à chanter ?
Kandy Guira : J’ai toujours chanté il me semble, depuis l’enfance… En Côte d’Ivoire, dans les quartiers on faisait des « Wozo » Vacances et j’adorais y participer. Il s’agit d’activités artistiques où on retrouve les concours de miss, de chants... A cette époque, on m’avait mise à l’école coranique mais comme j’aimais chanter et danser, ça ne marchait pas vraiment avec le Coran ! J’étais vue comme la rebelle. On m’a donc inscrite dans une école normale où je pouvais chanter et danser…
Et une fois à Ouaga, j’ai tout naturellement opté pour la danse, puis le mannequinat et après le chant. Ça m’a permis de m’en sortir financièrement. J’ai chanté tout d’abord avec Abdoulaye Cissé et son orchestre « Diamana », puis Eugène Cooker du Burkina Faso. Au Mali, j’ai chanté avec Amy Koita et Abdoulaye Diabaté. En Côte d’Ivoire, aux côtés d’Aïcha Koné et Bailly Spinto… Une fois en France, j’ai évolué dans les cercles d’artistes maliens grâce àCheick Tidiane Seck que je connaissais depuis Ouaga. J’ai alors travaillé avec Amadou et Mariam, Manu Dibango, Lokua Kanza, Oumou Sangaré. Aujourd’hui c’est Cheick qui gère la direction artistique de mon album. C’est le tonton. (Rires).
ZOOM
Les conseils littéraires, musicaux et cinématographiques de Kandy Guira
Le livre que vous recommanderiez ?
Aya de Yopougon. J’ai lu les six !
Un album ?
Guerrier de Cheick Tidiane Seck.
Un film ?
"Timbuktu" d’Abderrhamane Cissoko qu’il me tarde de voir !
Lola Simonet