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Paris-Kinshasa Express, par amour des musiques congolaises
Interview croisée avec Patrick Pellé « Mundélé » et Mama Cécilia, les fondateurs du groupe PKE
Ils forment le noyau dur du groupe de musique congolaise Paris-Kinshasa Express, véritable machine à faire danser même les plus réfractaires.
Le guitariste, chanteur Patrick Pellé « Mundélé » (le blanc, en lingala) et la danseuse, choriste Cécile Cassin, alias Mama Cécilia, ont créé en 2010 ce collectif musical à taille variable composé de près d’une dizaine de musiciens, qui a sorti l’année dernière un premier album éponyme de sept titres.
Deux français à la tête d’un groupe de musique congolaise, il n’en fallait pas plus pour susciter notre curiosité. Rencontre avec les leaders du gombo musical façon « sauce saka-saka » le plus dynamique du moment !
Comment est né le groupe Paris-Kinshasa Express ?
Patrick Pellé « Mundélé » : Il est né d’une rencontre, entre Mama Cécilia et moi-même. Mama Cécilia m’a présenté des musiciens congolais avec qui j’ai commencé à jouer.
Mama Cécilia : Oui, Patrick, qui est guitariste et joueur de likembé (piano à doigts, ndlr), a commencé à travailler avec certains musiciens congolais que je connaissais et c’est comme cela que le groupe s’est formé autour de lui.
Patrick Pellé « Mundélé » : Et le nom du groupe nous est venu naturellement car il faut savoir que Kinshasa est la deuxième ville francophone au monde après Paris, et il nous a semblé important de contribuer à développer cette passerelle, ce lien entre ces deux villes. C’est l’amour de ce français au verbe piquant qui nous unit, de Kinshasa à Paris.
Comment qualifieriez-vous votre musique ?
Patrick Pellé « Mundélé » : C’est une musique congolaise métissée qui s’inspire des anciens groupes de musique congolaise comme Maître Franco (un des maîtres de la rumba congolaise, célèbre membre de l’OK Jazz, ndlr), Zaïko (Zaiko Langa Langa, un groupe célèbre formé en 1969 au Congo Kinshasa, ndlr), les Grands Maquisards (autre groupe célèbre formé la même année à Kinshasa, ndlr)…
Tous ces grands groupes qui ont façonné la musique congolaise, de Grand Kallé (célèbre musicien congolais, chanteur et chef de groupe au sein du groupe de rumba Grand Kallé et l’African Jazz, père de la musique congolaise moderne, ndlr) jusqu’à Zaïko qui a révolutionné cette musique en supprimant les cuivres et en y ajoutant le synthé. Elle est également influencée par les rythmes et musiques d’Angola et par l’afrobeat, dans le sens où Fela l’entendait quand il parlait d’« afrobeats » !
Mama Cécilia : Une musique métissée avec une « French touch » également dans la composition comme dans les textes, car on s’inscrit dans la tradition de la chanson à textes française.
Patrick Pellé « Mundélé » : Et avec du texte en français et lingala pour métisser le tout jusqu’au bout !
Votre groupe est atypique : on y trouve de grandes pointures de la musique congolaise, mais aussi des musiciens français et, plus exotique... japonais !
Patrick Pellé « Mundélé » : Ce n’est pas surprenant quand on pense que la musique congolaise est écoutée sur tous les continents et notamment au Japon où certains groupes congolais ont tourné ! Au sein du PKE (Paris-Kinshasa Express), nous avons effectivement un bassiste japonais, Niwa Koshi, qui parle mieux lingala que français !
Pour ce qui est des musiciens congolais, il faut dire que Paris est un vivier d’artistes congolais de grande envergure, des stars dans leur pays connus de toute la diaspora congolaise mais tout à fait inconnus ici. C’est le cas de Nono Munzuluku « Atalaku » par exemple, un des premiers animateurs du groupe Zaïko Langa Langa. « Atalaku » signifie d’ailleurs en lingala, le « crieur », celui qui crie. Il anime les titres et invite les spectateurs à se lever et à danser sur la musique, à un moment bien précis de la chanson.
Au départ, on appelait ces moments les « sebene », il s’agissait de moments dédiés aux solos instrumentaux : les cuivres, les guitaristes, les percussionnistes, mais petit-à-petit, le crieur/animateur a fait sien ce moment pour inviter les danseurs sur la piste.
Mama Cécilia : Parmi nos musiciens, nous comptons aussi une saxophoniste d’origine togolaise, Nathalie Ahadji…
Patrick Pellé « Mundélé » : Mais il est vrai que les postes-clés du groupe que sont la batterie, les percussions et la guitare lead sont occupés par des Congolais. Notre guitariste, Elvis Kunku Nguidi, est l’ancien guitariste de Pépé Kallé et l’Orchestre Empire Bakuba, groupe de grande renommée de la même génération que celle de Zaïko Langa Langa. L’influence de ce groupe-ci a dépassé les frontières du Congo. Un jour, aux Antilles, il m’est arrivé de les entendre à la radio. Preuve que les Antillais ne les ont pas oubliés ! Pareil pour notre percussionniste Oléko Esabé Masamba, musicien éminent au Congo.
Patrick, vous possédez une grande connaissance de ces musiques et de ces groupes mythiques des années 1970/1980 dans les deux Congo. Pourquoi ? Vous avez des liens personnels avec la musique congolaise et les deux Congo ?
Patrick Pellé « Mundélé » : J’ai grandi à Kinshasa. J’ai baigné dans cette musique étant jeune, elle m’a investi, a pénétré mon cœur, mon esprit et mon corps. Je la ressentais dans tout mon corps petit car elle était omniprésente. Et puis, une fois arrivé en Europe à l’âge de 9 ans, j’ai eu l’impression qu’une porte se refermait sur cette époque, cette vie. Je me suis ouvert à d’autres musiques : le reggae, le hip-hop un peu, la chanson française… Plus tard, j’ai rouvert cette porte quand j’ai rencontré Mama Cécilia, qui m’a mis en relation avec des musiciens congolais.
Un des titres de votre album s’intitule « Coltan na congo ». Il dénonce les conflits dévastateurs qui minent la RDC dans les régions où est extrait le coltan, ce minerai utilisé dans la fabrication des téléphones portables. PKE n’ambitionne pas seulement de remettre au goût du jour les musiques congolaises dansantes, vous abordez également des sujets de fond qui touchent tous les Congolais…
Patrick Pellé « Mundélé » : Ce texte, je l’ai écrit en collaboration avec un auteur d’un autre groupe. Vous savez, le « coltan » c’est un peu le « talon d’Achille » de l’exploitation de minerais au Congo…
Mama Cécilia : En fait, c’est en cela que nous nous rapprochons de l’esprit des chansons à textes françaises, car nous abordons des sujets variés de la vie congolaise, dont des sujets graves où nos textes font sens.
Patrick Pellé « Mundélé » : Et en cela, nous sommes là aussi fidèles à l’écriture des groupes congolais d’antan qui se servaient du double sens pour contourner la censure. Je pense par exemple à Franco Luambo Makiadi (de l’OK Jazz, ndlr) ou bien à Zao du Congo Brazzaville qui maniait l’ironie comme personne. Et là, je pense au titre « Ancien Combattant », ou encore à « Soulard », et « Corbillard ».
Quelles sont vos prochaines dates ?
Mama Cécilia : Nous jouerons le 28 juin à Palaiseau dans le cadre du Festival Palaiseau en fête. Puis le 25 juillet au Festival Sunart de Pertuis dans le Vaucluse. Et le 30 août au Festival L’Escale à Brétigny-sur-Orge ! Venez nombreux nous voir !
ZOOM
Les conseils littéraires, musicaux, cinématographiques et culinaires de Patrick Pellé « Mundélé » et Mama Cécilia
Quel écrivain du continent africain conseilleriez-vous à nos lecteurs ?
Mama Cécilia : Alain Mabanckou, il me fait bien rire. Et le livre « Ségou » de Maryse Condé.
Patrick Pellé « Mundélé » : Congo. Une histoire de David Van Reybrouck.
Quel réalisateur conseilleriez-vous ?
Mama Cécilia : Raoul Peck.
Patrick Pellé « Mundélé » : Le film Viva Riva du réalisateur Djo Tunda Wa Munga.
Quel est votre plat africain préféré ?
Mama Cécilia : Les grillades, qu’il s’agisse de poisson, poulet ou viande. J’aime la façon dont elles sont préparées en Afrique.
Patrick Pellé « Mundélé » : Le « muambé » une sauce arachide que tu manges avec du saka-saka (sauce aux feuilles de manioc) avec du poulet, de la viande ou du poisson et du riz, ou foufou. Un délice !
Vos recommandations musicales ?
Patrick Pellé « Mundélé » : Le chanteur Zao du Congo Brazzaville. Et aussi l’album « Francophonics » qui regroupe plusieurs titres du grand Maître Franco.
Mama Cécilia : La compilation « Congotronics » qui rassemble des musiques tradi-modernes des deux Congos en deux ou trois volumes et qui permettra à vos lecteurs de découvrir notamment le jeu spécifique du likembé dans cette région.
Lola Simonet