« Kouta », d’après la trilogie de Massa Makan Diabaté
Le Tarmac - 159, avenue Gambetta Paris 20ème.
Pièce mise en scène par Hassan Kassi Kouyaté.
Personnalité reconnue du monde du théâtre ouest-africain, le metteur en scène burkinabé Hassan Kassi Kouyaté s’attaque à une œuvre majeure de la littérature mandingue.
La pièce « Kouta », jouée actuellement au Théâtre du Tarmac à Paris jusqu’au 23 mai, adapte le roman « Le lieutenant de Kouta » de Massa Makan Diabaté, paru en 1979, premier tome d’une trilogie romanesque mandingue comprenant « Le coiffeur de Kouta » (1980) et « Le boucher de Kouta » (1982).
Tout auréolé de gloire à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le lieutenant de l’armée coloniale Siriman Keita est accueilli à Kouta, son village, en héros. Mais bientôt, son comportement décalé, sa loyauté à la France, ses errements et ses frasques lui valent les railleries et l’hostilité de ses concitoyens…
Répondant à une commande du théâtre Vidy de Lausanne, où la pièce a été jouée en avant-première au début de ce mois, Hassan Kassi Kouyaté signe ici une adaptation fidèle au roman de Massa Makan Diabaté, marquée par toute l'admiration et l’affection qu’il portait à cet homme de lettres qui n'était autre que son oncle maternel.
Comme dans le roman, le sujet de fond de la pièce réside dans la perte d'illusions personnelles, sociales et politiques du héros. Une trajectoire individuelle porteuse des grands changements à venir dans le pays. Nous sommes en pleine satire sociale au goût de comédie et à la légreté d'une fable.
Les traits de caractère des personnages sont volontairement marqués : les notables sont profiteurs et envieux, l’aveugle comploteur et rusé, la femme enjôleuse, le Commandant français despote et l’Imam « sage »… Mais ce petit monde s'entend à merveille pour passer du bon temps autour d'un repas arrosé, séduire la nouvelle beauté de Kouta ou partir guerroyer contre le village voisin.
La mise en scène sobre et classique se met au service du récit et s’efface devant le jeu des acteurs particulièrement humain, spontané et réaliste.
Le décor minimaliste participe également de cet effet, qui se résume à un mur de maison en fond de scène et à une estrade qui incarne tantôt la cour de la demeure, tantôt la place du village. A la mort de Siriman Keita, l’action se déplace devant l’estrade comme si la maison et l’intime s’étaient exportés dans la rue… Siriman Keita mourra en notable aimé de ses concitoyens.
Elément important de la mise en scène, la musique se fait grinçante et accompagne elle aussi les enjeux politiques de ce village malien qui amorce timidement ses premières poussées indépendantistes. Des premières « Marseillaise » tonitruantes et triomphantes du début de la pièce ne restent que les paroles désabusées d’ « Aux armes, etc… » de Serge Gainsbourg.
Une belle métaphore musicale de l’évolution de la présence française au Mali… Mais entre-temps, dans la bouche du Commandant français du village, ont surgi ces répliques au propos prémonitoire : « Vous ferez de nouveau appel à nous pour vous défendre ! ». Et l’on mesure alors, une fois de plus, toute la portée visionnaire que peuvent avoir les grands auteurs. Massa Makan Diabaté était sans conteste de ceux-là. Bien en a pris à Hassan Kassi Kouyaté de le mettre en scène.
Kouta, d’après la trilogie de Massa Makan Diabaté, mise en scène par Hassan Kassi Kouyaté, jusqu’au 23 mai au Théâtre du Tarmac à Paris.
Les mardi, mercredi et vendredi à 20h, les jeudi à 14h30 et 20h, les samedi à 16h.
Tarifs : 5 à 20 €.
ZOOM
Massa Makan Diabaté, auteur mandingue majeur
Son oncle Kélé Monson Diabaté était considéré comme un maître griot et Massa Makan Diabaté dit devoir beaucoup à son enseignement. À sept ans, il commence sa formation de griot qui sera interrompue par sa scolarisation à l’école française.
Ses premiers livres seront des traductions des épopées et des contes malinkés en français. Sa trilogie romanesque, Le Lieutenant de Kouta (1979), Le Coiffeur de Kouta (1980), et Le Boucher de Kouta (1982) obtiendra en 1987 le Grand Prix international de la Fondation Léopold Sédar Senghor. Son propos comme la langue vivante et imagée qu’il donne à entendre et à lire doivent beaucoup à sa langue maternelle, le malinké, ou le bambara. Il est à ce titre un auteur majeur de cette langue dont il a su rendre la saveur et l’originalité en français.
Historien et homme de lettres, il a donné son nom à un lycée à Bamako, ainsi qu’à une salle de théâtre à Kayes, au Mali.
Lola Simonet