Interview de William Adjété Wilson à l'occasion de l'exposition Vodouns et Orixas
Galerie Philippe Lawson, 16, rue des Carmes 75005 Paris du 23 avril au 17 mai 2014
William Adjété Wilson, d’origine togolaise et béninoise, est un artiste français plasticien non-conformiste. A la croisée de plusieurs mondes, il nous propose avec son exposition Vodouns et Orixas, de découvrir ses nouvelles œuvres inspirées et pleines de facéties. Interview dans son atelier au cœur du 15ème arrondissement.
Simon Njami, commissaire et critique d’art, qualifie ton travail de « métissage libéré de ses vieux démons de l'histoire » ? En quoi serait-ce le cas ? Es-tu d’accord avec cette définition ?
William Adjété Wilson : J’ai un ami qui a écrit un livre qui s’appelle Maudit métisse. Il y a d’un côté une béatification du métissage. Certains s’extasient devant un enfant métisse et disent : « Oh qu’il est beau cet enfant ! ». Mais le cauchemar du métissé, c’est la communauté. Et le colonialisme c’est justement la communauté, le nationalisme.
Simon a écrit ça il y a 20 ans. Et depuis, j’ai fait Océan noir qui m’a permis de m’attaquer à mes vieux démons de l’histoire. Ceux dont il parle. Océan noir faisait le bilan de ma propre histoire, de mon passé lié à l’Afrique, à l’Europe, et à l’Amérique. Tout cela dans une idée non communautaire, dans un désir ni d’enjoliver, ni de diaboliser. Car en réalité, l’histoire contemporaine est toujours agitée par ses vieux démons.
Moi, je me considère toujours comme un artiste. Ses origines, son histoire, ça n’est pas ça qui est important dans le travail d’un artiste. C’est un sujet épineux qui date de quatre, cinq siècles, le regard porté sur l’autre. Actuellement, nous sommes encore dans ces questions de savoir comment faire pour considérer que l’important c’est d’être un humain digne de ce nom.
Entre moderne et tradition, sacré et profane, Afrique et occident, es-tu un artiste en transit ?
William Adjété Wilson : En transit, oui, parce que se poser quelque part c’est être prisonnier. La solution que j’ai trouvée c’est d’être en transit. De changer d’endroit, de médium. Le transit, c’est quelque chose d’un peu forcé par le métissage.
Ce qui est absurde dans ces discours raciaux, c’est que la pureté, une personne entière, ça n’existe pas. Le phénomène historique catégorise. Moi ce qui m’intéresse en tant qu’artiste, c’est l’humain. Car tout ce qui reste après tout, c’est l’art. Même le sens donné aux œuvres parfois est effacé. C’est pourquoi j’ai choisi d’être artiste. Pour échapper à toutes ces contingences. Etre artiste c’est à la fois très personnel et très relié à toute l’humanité.
J’ai donc un jour décidé d’affronter mes vieux démons, moi, petit français ayant grandi en France. J’ai très tôt été confronté à mon métissage, par la couleur de ma peau. Adulte, j’ai décidé d’aller visiter ces pays d’où mon père vient. C’est devenu une façon pour moi de témoigner. Mais ça n’était pas une revendication.
Vodouns et Orixas est le nom de ton exposition à la Galerie Philippe Lawson. Peux-tu nous expliquer ce qu’on y voit ?
William Adjété Wilson : Il y a beaucoup d’aspects. D’abord le matériau. C’est exclusivement du tissu wax imprimé selon une technique, la technique du batik, qui vient de Java. Les Hollandais ont également emprunté cette technique. Elle a eu un tel succès en Afrique, que les Hollandais se sont mis à produire exclusivement pour l’Afrique. C’est un exemple de mondialisation.
Et, il se trouve que ma grand-mère, ancienne descendante d’esclaves brésiliens, était une marchande de tissus. A l’époque, Lomé et Cotonou avait pendant un moment l’exclusivité des ventes du wax dans la région. Je ne sais pas quelle est l’influence précise de tout cela sur mon histoire mais mon travail avec le wax est probablement une sorte d’hommage à ma grand-mère.
Et moi, avec mes collages de tissus, j’assemble plusieurs éléments. Je réalise une sorte de déconstruction, pour après reconstruire. A l’exemple de ce qui a été fait dans la période post-coloniale.
Après, pourquoi Vodouns et Orixas ? Parce qu’une des rares institutions qui a tenu le coup face à toutes ces épreuves de l’histoire, c’est la religion. Ce qui est intéressant c’est de voir comment au Brésil, en Haïti, à La Nouvelle-Orléans, un immense esprit créatif se dégage du culte.
Les Vodouns sont les intermédiaires entre les Dieux et les humains. J’ai recréé de nouveaux personnages. Je l’ai fait dans l’idée de recréer des images nouvelles. Je l’ai fait d’une façon a-religieuse et avec humour.
Peux-tu nous décrire une de tes œuvres ?
William Adjété Wilson : Oui. Sur le carton d’invitation (cf visuel ci-dessous), le vodoun dont je me suis inspiré s’appelle Legba. Il est l’un des plus célèbres. Dans toutes les cérémonies, il est le premier invoqué. Il est le vodoun des carrefours. Celui qui relie le ciel et la terre. Il est aussi très sexué. C’est pourquoi je me suis amusé avec un motif principal utilisé au 18ème siècle : le gland. Il évoque cette divinité. C’est l’image que j’ai choisie comme carton d’invitation car il est celui qui préside à toutes cérémonies.
Enfin, je m’amuse. C’est un jeu. J’aime bien que ce que je fais ne soit pas univoque. J’aime que ça parle à tout le monde, que mon travail soit libre d’accès.
Quels sont les artistes et les formes d'art qui t’ont influencés ?
William Adjété Wilson : Mes premières émotions ont été provoquées par des artistes de la veine surréaliste. Il y a aussi un artiste hongrois qui s’appelle Victor Brauner. En voyant pour la première fois son travail, je me suis dit que je pouvais créer. Pourtant, je ne viens pas d’un milieu artistique. Je me suis éduqué moi-même à l’art. Je n’ai pas fait d’école. Je voulais justement étudier ce qui était à la marge du monde de l’art. Ne pas faire d’école d’art, c’était un refus de formatage.
Je me suis ainsi passionné pour toutes les formes d’art : l’art esquimaux, l’art brut, l’art singulier…
ZOOM
Les conseils littéraires, musicaux, cinématographiques et culinaires de William Adjété Wilson à nos lecteurs
Quel(s) écrivain(s) africain(s) conseillerais-tu à nos lecteurs ?
William Adjété Wilson : Achille Mbembe, pour ses essais. En roman de fiction, je dirais Sony Labou Tansi, écrivain de la République du Congo, et Amos Tutuola, un écrivain nigérian autodidacte qui a écrit en pidgin anglais.
Quel est ton plat africain préféré ? Où le manges-tu à Paris ?
William Adjété Wilson : Je cuisine moi-même. Ma mère a appris d’une cousine de mon père un certain nombre de recettes locales. J’aime bien cuisiner des fruits de mer avec la pâte de manioc. Je ne fais pas de plat particulier. J’utilise dans ma cuisine des mets africains que j’aime bien.
Quel réalisateur africain conseillerais-tu à nos lecteurs ?
William Adjété Wilson : Je ne saurais pas qui conseiller. Je sais par exemple qu’au Nigéria, il y a beaucoup de production de films avec Nollywood. Mais je ne saurais pas en dire beaucoup plus.
Quel musicien africain conseillerais-tu à nos lecteurs ?
William Adjété Wilson : Fela Kuti. C’est une musique qui tient toujours la route !
Propos recueillis par Eva Dréano