Essais / cameroun / ouganda / république-centrafricaine / république-démocratique-du-congo / rwanda
Pygmées en voie de disparition : planète en danger de Michel Tagne Foko
Les Éditions de l'Onde
Le jour où les pygmées ne pourront plus vivre dans leur forêt, la planète sera vraiment en danger.
Il paraît qu'il faut remonter aux anciens Egyptiens et à Homère pour trouver les premières traces des premiers pygmées : pygmaios qui signifie " haut d'une coudée". Ces petits hommes entraient alors de façon singulière par la grande porte dans l'histoire de l'humanité.
Le CNRS français, qui n'est pas avare de sujet de recherche, s'est penché sur le sujet et a déduit de ses analyses génétiques quelques conclusions étonnantes. En étudiant les marqueurs de plus de 600 personnes en Afrique de l'ouest, ils sont arrivés aux trois conclusions suivantes :
1- Les pygmées remonteraient à 50 000 ans, période à laquelle il se seraient différenciés des hominidés de l'époque. 3 000 ans avant notre ère, ils se seraient alors fractionnés en groupes plus petits en s'enfonçant au cœur de la forêt équatoriale. Ils ont donc bien une origine commune ;
2- C'est donc à partir de ce moment-là que ces groupes se sont diversifiés étant peu en contact les uns avec les autres. Les études font apparaître aujourd'hui de fortes différences génétiques entre les différentes ethnies pygmées ;
3- Le flux génique avec les populations environnantes est plus important de celles-ci vers les pygmées que l'inverse. Si des Bantous peuvent éventuellement se marier avec une femme pygmée, l'inverse est nettement moins fréquent car socialement réprouvé.
D'ailleurs, de façon générale, les pygmées sont ostracisés à tel point que l'on peut parler de comportements véritablement racistes à leur égard. Considérés comme des sous-hommes, car peu à même de se défendre, ils ont servi, et ce, dès le 19e siècle, de réservoir d'esclaves.
Ils seraient aujourd'hui autour de 200 000 individus, disséminés dans une dizaine d'états africains de la zone équatoriale. S'ils vivent dans la forêt de la chasse et de la cueillette, il en existe d'autres qui sont sédentarisés, vivent dans la savane et pratiquent l'agriculture.
Autre caractéristique, la taille moyenne d'un pygmée n'est pas supérieure à 1,60 m mais il existe aussi des individus suffisamment grands pour que ce critère ne soit plus discriminant.
Le livre de Michel Tagne Foko " Pygmées en voie de disparition : planète en danger " est éclairant à plus d'un titre car il décrit leurs vies de l'intérieur. Sous la forme de contes et d'histoires africaines - inspirées de faits réels - il nous entraîne au cœur de ce qui fait la vie du pygmée aujourd'hui.
Pour l'auteur, lui même Camerounais d'origine Bamileke, les pygmées sont essentiellement des habitants de la forêt, ayant en commun de riches traditions orales, un certain nombre de valeurs dont le culte des divinités de la forêt et le plus grand respect possible de leur environnement.
Dans ce cas, pour Michel Tagne Foko, qui relativise l'étude du CNRS citée ci-dessus, peu importe les origines génétiques de ces populations : s'ils respectent ces règles, ils sont pygmées.
L'auteur nous présente des populations fragiles, naïves presque. Elles vivent en dehors du temps de leurs concitoyens, à l'abri de la forêt. Elles n'ont pas les mêmes valeurs ni les mêmes besoins. L'amour, les relations homme-femme, l'argent, les enfants, la santé sont autant de points de divergence avec le reste des populations autochtones.
Par exemple, le corps est en lien avec l'âme et communique ainsi "sur des événements majeurs qui ont eu lieu ou auront lieu dans notre vie".
L'organisation sociale est, elle aussi, particulière. "Il n'existe pas de chef de famille, pas de femme soumise à son mari ou de mari soumis à sa femme […] le respect mutuel entre homme et femme est la base de l'union". L’homme comme la femme s’occupent de l’éducation des enfants.
Quant aux cultures, les pygmées considèrent que la pratique du brûlis où l'on met le feu à la forêt pour fertiliser le sol, est un véritable meurtre, une mutilation de mère nature.
En ce qui concerne l'argent, il est parfaitement méconnu. Le troc est même minimaliste. C'est en fait un rituel d'échange : "ils allaient sur un chemin poser la marchandise et couraient se cacher […] le passant la prend et met autre chose à la place […] même s'il n'a pas grand chose" car "les divinités de la forêt demandent de s'entraider en pratiquant ce rite".
Comme on peut le constater, ces particularismes sont nombreux et la jungle des villes est, à bien des égards, plus périlleuse que la forêt équatoriale. Parfaitement adapté à son milieu, le pygmée perd son âme en quittant son biotope, éprouve du mal à s'adapter au "monde moderne" et du coup, est considéré par les bantous comme un parfait idiot qu'il faut abuser.
De plus, le recul de la forêt, son exploitation intensive, réduit sa marge de manœuvre et met en péril ces populations originales par leur mode de vie, les rendant encore moins capables de se défendre contre les prédateurs modernes.
Michel Tagne Foko nous décrit une vie idyllique en harmonie complète avec les dieux de la forêt, où les relations humaines ne sont pas soumises à l'argent et où le respect et l'amour règnent entre les membres de la tribu.
Nous sommes ici en plein rousseauisme, situation idéale où l'homme est bon par nature avant que la société ne le pervertisse, et là justement, il n'y a pas vraiment de société mais bien plutôt un regroupement de femmes et d'hommes vivant ensemble le plus en phase possible avec la nature.
La meilleure démonstration qu'ils puissent faire de cette symbiose est dans leurs chants polyphoniques qui sont uniques et assez extraordinaires (voir Zoom ci-dessous).
Le lecteur pourra trouver dans un autre ouvrage écrit par Frantz Thille " Avec les pygmées au cœur de la forêt vierge " (éditions L'Harmattan) une expérience complémentaire intéressante. Nous avons ici un autre éclairage - plus occidental sûrement - de la société pygmée.
Il s'agit ici d'un récit de voyage, d'un séjour de plusieurs semaines vécu chez des pygmées de République centrafricaine.
Si les rapports qu'entretiennent ces derniers avec leur environnement sont effectivement étonnants, l'auteur met en évidence une face moins idéale de la réalité de leurs vies : problèmes de santé avec une forte mortalité infantile, fragilité de l'existence au sein de la forêt équatoriale où les bêtes les plus nuisibles ne sont pas forcément les plus grosses.
La lutte est quotidienne avec toutes sortes de parasites divers comme les fameuses mouches filaires ou les chiques qui dévorent les pieds pour pondre leurs œufs sous la peau ou encore les magnans - fourmis de bonne taille, pourvues de deux puissantes mandibules et d'un solide appétit et qui posent de réels problèmes lorsqu'elles se déplacent en bande de plusieurs millions d'individus en dévorant tout - mais vraiment tout - sur leur passage.
Vous découvrirez dans cet ouvrage comment il faut choisir les bonnes chenilles à manger, comment on peut se perdre au milieu de la forêt, comment on peut s'y retrouver, comment se passe une chasse à l'éléphant à la sagaie, comment récolter du miel en enfumant des ruches situées à près de 15 mètres de haut et bien d'autres aspects qui ont le mérite de nous faire mieux comprendre comment ces populations se sont adaptées à cet environnement a priori peu accueillant.
Un de leurs secrets est de cultiver une forte résistance à la douleur. C'est la clé de la survie sans laquelle la vie deviendrait totalement insupportable. C'est un apprentissage difficile comme lors de cérémonies initiatiques ou, sans autre précaution, on lime en pointe les dents des jeunes filles et on imagine sans mal que la douleur doit être immense.
Frants Thille, quant à lui, conclut son voyage chez les pygmées par un séjour à l'hôpital dans un service spécialisé en parasitologie tropicale.
Aujourd'hui, les pygmées sont à la lisière des exploitations forestières. Si l'on commence quand même à se préoccuper sérieusement de leur sort, beaucoup se retrouvent déjà déracinés, rejetés des populations bantous, tristes salariés exploités, piégés par les cigarettes et l'alcool, sans imaginaire et sans culture.
Michel Tagne Foko a bien raison. Le jour ou les pygmées ne pourront plus vivre dans leur forêt, la planète sera vraiment en danger.
ZOOM
Centrafrique : Anthologie de la musique des pygmées Aka - Ocora Radio France.
Ces chants sont d'abord ceux du groupe. Musique polyphonique répétitive sur des rythmes assez complexes : tout le village participe à la cérémonie. Les voix s'entremêlent, les mains claquent, les tam-tam battent la pulsation. C'est un rituel de purification avant de partir pour la chasse ou pour aller récolter le miel à la cime des arbres ou encore la danse après avoir tué un éléphant. Ils peuvent cependant se faire mystérieux et presque lancinants comme dans le "Chant pour la mère qui est enceinte".
D'autres se font complainte, douceur chantée a capella à une ou deux voix pour une berceuse apaisante ou des jeux d'enfants.
Cette musique fait partie intégrante de leur vie et ponctue tous les moments importants. À l'image de leur société, chacun intervient selon son tempérament et ses possibilités et l'ensemble forme un tout harmonieux, riche de subtilité.
Il ne faut pas s'étonner si cette musique a su séduire de nombreux musiciens. Wikipedia cite entre autre György Ligeti et Steve Reich et effectivement pour ce dernier, nous ne sommes vraiment pas loin de sa musique répétitive.
Il est aujourd'hui fascinant de voir que cette musique étonnante, à découvrir impérativement, provenant du fin fond des âges de l'humanité, inspire toujours de sa force et de son invention nos musiques contemporaines.
Rédigé par 2Biville