Muna Moto – L’enfant de l’autre de Jean-Pierre Dikongué-Pipa
Un Roméo et Juliette africain. Une tragédie ayant pour décors la campagne camerounaise.
Etalon de Yennenga au Fespaco en 1976. Grand prix Georges Sadoul en 1975 et Grand prix du festival international du film de l’ensemble francophone à Genève en 1975. Muna Moto est une histoire universelle.
Le réalisateur Jean-Pierre Dikongué-Pipa, installe, un à un, les éléments d’une tragédie redoutable. Deux jeunes gens sont amoureux. Ils se nomment Ngondo et Ndomé. Ils veulent se marier mais Ndongo, orphelin, n’a pas de quoi payer la dot. Il travaille dur pour cela.
L’oncle de Ndongo, époux de trois femmes sans enfant, convoite Ndomé. Il parvient aisément, avec le consentement de la famille de la mariée et du village, à voler la place de son neveu dans la couche de Ndomé.
Les deux amoureux tentent de déjouer ce mauvais sort. Ndomé se donne à Ndongo pour ne plus être vierge, pensant ainsi déjouer le destin. Elle tombe enceinte mais rien n’y fait. Il en sera autrement car l’argent est roi !
L’oncle pourra convoler en quatrième noce et obtenir enfin une descendance. Mais comment un tel mariage contrarié peut-il augurer une union heureuse ? Comment Ndongo peut-il continuer à vivre en étant spectateur d’une telle injustice ? Et où est la justice ? Dans la coutume du village faisant office de tribunal populaire ? Ou dans l’accomplissement de sentiments sincères et naturels ?
Ici, les ainés et la tradition ont raison de tout ! L’amour sincère n’a pas de place dans une société où le collectif et la perpétuation des coutumes ancestrales prévalent sur tout désir individuel. Ces valeurs sont le ciment de cette société. Le moyen de maintenir ferme les liens du collectif. Mais ce système n’a-t-il aucune faille ? Les parents de Ndomé n’ont-ils pas d’abord promis leur fille à Ndongo, pour se dédire ensuite ? La coutume n’est-elle pas ici remplacée par une autre valeur qui fait loi : l’argent.
Bande-annonce du film Muna Moto.
ZOOM
Un film remarquable malgré de nombreux problèmes techniques.
Mais le montage est réalisé avec soin. Y figure de nombreux flash-backs laissant entrevoir progressivement la trame de l’histoire et les liens qui unissent nos personnages.
Les premières minutes du film se déroulent dans une ambiance musicale sans parole. Le temps pour le spectateur de rentrer dans l’univers traditionnel camerounais et d’en percevoir l’imaginaire, le fonctionnement. D’un grand réalisme, on a d’ailleurs le sentiment de regarder un documentaire.
C’est ensuite que les talents d’homme de théâtre de Jean-Pierre Dikongué-Pipa se révèlent. Les scènes se succèdent comme dans une tragédie grecque et mènent irrémédiablement à une fin qu’on pressent mais qu’on ne peut empêcher.
Eva Dréano