Bloody Niggers, une oeuvre qui marque à vie
Centre Wallonie-Bruxelles - 46, rue Quincampoix, Paris 4ème.
Pièce écrite par Dorcy Rugamba.
Sur le devant de la scène, un crâne d’homme noir est posé sur un socle. Derrière lui, trois pieds de micros devant lesquels viennent se positionner trois acteurs, en smoking. Au mur, un écran vidéo diffuse des images d’archives.
La première séquence montre une tour qui s’effondre après avoir été percutée par un avion. Le « 11 septembre », une tragédie. Une tragédie à condamner parce que tout acte terroriste est condamnable. Certes.
Mais au terrorisme islamique du XXIème siècle, combien d’horreurs et de crimes perpétrés au nom du terrorisme chrétien occidental, des croisades à l’extermination des peuples indigènes « païens », de la traite négrière au premier génocide du XXème siècle, celui des Héréros par l’armée allemande, en 1904 en Namibie ?
L’Histoire est le sujet de Bloody Niggers !. Mais pas n’importe quelle histoire. L’Histoire qui ne se raconte pas dans les salles de classe, ou si peu. Celle des vaincus, des massacrés, des victimes. Des disparus même. De ceux qui ne sont plus là pour témoigner de leur passage sur terre.
Avez-vous par exemple déjà entendu parler de Truganini, membre du peuple aborigène de Tasmanie morte en 1876 ? L’humanité ne connaît même pas le nom que ce peuple se donnait dans sa propre langue… Il ne reste plus aucun d’entre eux.
Créée au Festival de Liège en 2007, Bloody Niggers !, de l’auteur, acteur et metteur en scène rwandais Dorcy Rugamba, est une œuvre majeure du répertoire joué par le Groupov, actuellement à Paris pour plusieurs représentations.
Membre de ce collectif de théâtre expérimental belge qui travaille sur la colonisation et ses effets sur nos sociétés contemporaines, Dorcy Rugamba a co-écrit le célèbre Rwanda 94, spectacle sur le génocide ayant fait date dans l’histoire du théâtre. Rescapé lui-même du massacre (son père, directeur artistique au Musée national rwandais, sa mère et six de ses frères et sœurs furent tués), Dorcy Rugamba y exprimait déjà l’indicible. Une démarche qui nous fait inexorablement penser à un Primo Lévi ou un Stefan Zweig (Dorcy Rugamba cite d’ailleurs ce dernier dans Bloody Niggers !).
Avec Bloody Niggers, l’auteur met au tapis les pans noirs de l’histoire occidentale, ses responsabilités et son hypocrisie droit-de-l’hommiste mais fustige aussi les compromissions actuelles des élites africaines encore enchaînées, victimes de leur incapacité symbolique et psychique à se séparer du maître-colon.
La mise en scène minimaliste (signée Jacques Delcuvellerie, directeur artistique du Groupov) vient renforcer notre intérêt pour le texte fort et dense, affreusement précis sur les faits, dates, personnages historiques et supplices inventés pour soumettre les peuples barbares.
Passant du ton péremptoire de la connaissance à celui de l’ironie voir de l’humour, les trois acteurs (Dorcy Rugamba en personne, Younouss Diallo, Pierre Etienne) empruntent au slam son rythme saccadé. Les mots se font incisifs et le verbe tranchant. Le spectateur est concerné et marqué à vie. Pour son bien.
BLOODY NIGGERS ! - Rencontres de la Villette 2007
ZOOM
Le Groupov, aventure théâtrale et politique
Conduisant des projets expérimentaux, le collectif travaille depuis les années 1990 sur les questions de vérité historique, de colonisation et de ses effets sur nos sociétés contemporaines.
Lola Simonet