Films / Niger Cocorico ! Monsieur Poulet de Jean Rouch CNRS - CFE Avec Monsieur Poulet et sa 2cv camionnette nommée "Patience", Jean Rouch met en scène des situations et des personnages inédits tels que seule l'Afrique peut nous en offrir.
Lam - Monsieur Poulet - et Tallou, son apprenti et "boy-chauffeur", décident de partir chercher des poulets en brousse afin de les revendre à Niamey malgré la gendarmerie qu'il faut absolument éviter faute de papier, d'assurance en règle et même d'épidémie aviaire. Ils prennent en chemin un troisième larron, Damouré, qui espère profiter de l'aubaine pour en tirer quelques affaires juteuses. Mais les choses se compliquent, la 2cv est cacochyme. Elle ne freine pas à moins que le passager avant appuie vigoureusement son pied à même le pneu et elle ne s'arrête qu'en glissant rapidement une cale sous la roue arrière. Elle tombe souvent en panne, crève, obligeant le trio à des bivouacs improvisés. Et c'est là où tout dérape rapidement et où le film prend une dimension proprement picaresque. Les diables africains s'en mêlent, plus précisément une diablesse, qui œuvre pour empêcher notre trio de réaliser les affaires escomptées. Manque de chance, les poulets se font rares et il devient nécessaire de traverser le fleuve en 2cv sans passer par le pont surveillé par la police, ce qui se fera à trois reprises de façons inédites avec les seuls moyens du bord ! Mais en même temps, en brousse, la liberté et les bons moments sont bien là entre compagnons de voyage. Les autorités diverses, elles, en prennent au passage pour leur grade : police, chef de village et "expert en développement"... À travers la satire et le conte, Jean Rouch, en ethnologue averti, nous fait (re?)découvrir les paysages et les habitants du Niger de 1974. Si on se laisse prendre avec grand plaisir aux tribulations de nos trois compères qui nous enchantent par leur imagination et leur savoir-faire, nous (re)découvrons aussi une Afrique, aujourd'hui disparue. Au-delà de ce périple routier á la sauce africaine, Jean Rouch nous emmène en plein conte poétique à la recherche de poulets improbables, d'une diablesse vraiment dangereuse, de personnages pittoresques et de situations invraisemblables, le tout en traversant le fleuve Niger en voiture : une série de bons moments à voir où l'imagination est vraiment au pouvoir. "Ce film a peut-être été le plus drôle à faire. Lam avait proposé un documentaire sur le commerce du poulet, nous décidons d’en faire un film de fiction (...) Nous avons été dépassés dans l’improvisation par les incidents : la voiture de Lam n’avait ni freins, ni phares, ni papiers. Ses pannes continuelles modifiaient sans cesse le scénario prévu (…). Alors l’invention était continuelle et nous n’avions aucune raison de nous arrêter que le manque de pellicule ou le fou rire qui faisait trembler dangereusement micros et caméras." Cette citation illustre bien ce que l'on ressent à regarder ce film. Le côté jubilatoire et improvisé apparaît même lorsque, quelques fois, le scénario prend un tour franchement invraisemblable et, ce, pour notre plus grand plaisir. Écrit, "au fil de l'eau", le récit emprunte au fleuve Niger ses méandres pour nous emmener vers des situations improbables qui laissent transparaître un vrai plaisir de filmer. Le monde de la magie et de la fantaisie est au rendez-vous pour brosser une fable contemporaine sur la patience et l'opiniâtreté nécessaires pour vaincre les difficultés de la vie, résister quand le sort et les diablesses s'acharnent contre vous et, plus particulièrement, surmonter avec bonne humeur tous les obstacles que l'on peut rencontrer quand on voyage dans une 2cv pourrie au Niger.
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ZOOM
Jean Rouch, une place à part dans l'histoire du cinéma africain
Il est l'un des fondateurs de l'anthropologie visuelle allant même jusqu'à mêler fiction et réalité comme dans ce film qui occupe une place à part dans son œuvre.
Passionné d'Afrique, ses films sont aujourd'hui un témoignage unique de ce que fut la vie des Africains au milieu du XXe siècle.
Son originalité réside dans le fait qu'il eut à la base une véritable démarche d'anthropologue doublée de celle d'un cinéaste innovant, introduisant les techniques du cinéma direct.
L'utilisation de caméras légères permettant des prises de son simultanées, grâce au magnétophone Nagra, permit le tournage de films au plus près de la vie des gens. Ce progrès technique offrit dans les années soixante une véritable émancipation au cinéaste-anthropologue qui put enfin s'affranchir des studios et de la reconstitution artificielle de la bande son.
Chargé de recherches au CNRS, il fut en compagnie de Marcel Griaule, André Leroi-Gourhan et de Claude Lévi-Strauss à l'origine de la création du Comité du film ethnographique du Musée de l'Homme à Paris.
Jusqu'à la fin de sa vie, lors d'un accident de la route en 2004 au Niger, il contribua à faire connaître par ses films la richesse des différents aspects de la vie des populations de la zone sahélienne.
Ces œuvres, rééditées récemment en DVD, en sont des témoignages irremplaçables et passionneront aussi bien les amoureux de l'Afrique que les Africains eux-mêmes à la recherche de leurs racines.
Jean-Pierre Lecocq