Romans / Ethiopie - Erythrée La porte des Larmes de Raymond Depardon et Jean-Claude Guillebaud Editions du Seuil, collection Points L'Ethiopie et l'Erythrée sublimés par les photos de Depardon et les textes de Guillebaud.
Il faut le reconnaître, dans cet ouvrage mêlant clichés et récit, ce sont avant tout les photographies de Raymond Depardon qui suscitent l’attention. Explorateur inépuisable de l’Afrique, il s’est notamment rendu au Tchad où il a couvert l’enlèvement de l’archéologue Françoise Claustre, et en Afrique du Sud où il a suivi de près la libération de Nelson Mandela. Cette fois, c’est à l’Abyssinie que le photographe se consacre. Ethiopie et Erythrée confondues Les clichés réunis ont été pris en Ethiopie et Erythrée en 1995, alors que les deux pays viennent de se livrer à un conflit de sécession de 30 ans, de 1961 à 1991 qui a abouti à l’indépendance de l’Erythrée. 1995, c’est à peine trois ans avant le déclenchement d’une nouvelle guerre entre les deux pays, qui durera deux ans et fera plus de 60 000 morts. Dans l’ouvrage, les clichés érythréens sont mélangés : on passe alternativement d’Addis-Abeba à Massaoua, puis à Harar, comme si la frontière n’existait pas. Il en ressort d’ailleurs une impression d’unité profonde entre les deux pays, de cohérence physique, culturelle, et paysagère assez troublante. Et sous-titrer l’ouvrage « Retour vers l’Abyssinie » n’est certainement pas anodin. En insistant sur cette unité, Raymond Depardon semble signifier l’absurdité d’un conflit entre deux pays frères, les deux fils de l‘Abyssinie. Un hymne à la paix et la sérénité Les images ne suggèrent que très rarement le conflit larvé. Il y a bien ça et là un cliché de militaires qui attendent à la frontière, un autre de carcasse de véhicule blindé, mais le photographe n’insiste pas sur ce climat de violence sourde. Au contraire, ce qui se dégage de ces photos, c’est une impression de calme et de paix : les visages sont souriants, les scènes sont celles de la vie quotidienne (portraits de paysans gardant leur champ, chauffeurs routiers jetant une pièce au gardien d’une chapelle pour en appeler à sa bonne fortune). Sur l’une d’entre elle, deux passantes marchent tranquillement devant les restes d’un char militaire. On est donc très loin des représentations habituelles de la région qui abondaient dans les journaux télévisés de l’époque : paysages désolés, villes dévastées, des corps trop maigres ou trop gonflés à cause des famines chroniques. Jean-Claude Guillebaud livre un témoignage sobre et saisissant C’est tout l’intérêt de cet ouvrage que ce croisement entre les commentaires de l’écrivain et les photos. En tant que lecteur, on se sent libre de voguer de cliché en cliché, ou de reprendre le fil du texte lorsque l’on souhaite un approfondissement. Le récit de Jean-Claude Guillebaud mérite pourtant une lecture attentive : on plonge alors dans la réalité d’une des régions les plus délaissées du monde, où la crise humanitaire a été, pour ceux qui sont nés dans les années 1960, la réalité de toute une vie. L‘intérêt de cet ouvrage est cependant de ne pas tomber dans l’ « afro-pessimisme », comme on a pu le reprocher à Depardon par le passé. Cet ouvrage, accessible et en format réduit, est au contraire un appel au voyage : il donne une formidable envie de parcourir indistinctement l’Ethiopie et l’Erythrée à la découverte de ses paysages lunaires et de ses personnages légendaires. |
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Les auteurs
Raymond Depardon est un photographe et cinéaste qu’on ne présente plus.
Il est l’auteur de documentaires vidéo sur la folie (San Clemente), le système judiciaire (10è chambre) ou encore le monde paysan (La vie moderne).
En tant que photographe, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, pour beaucoup édités dans la collection Points du Seuil, en format de poche.
Il est aussi un grand amateur et explorateur de l’Afrique : il rend compte de ses voyages dans un imposant recueil de photos intitulé Afrique(s), dans un documentaire, Afriques, comment ça va avec la douleur ?, et dans une fiction, La Captive du désert.
Jean-Claude Guillebaud est quant à lui essayiste et grand reporter spécialiste de la Corne de l’Afrique. On lui doit notamment Les confettis de l’Empire, un ouvrage sur les décolonisations tardives de l’Empire colonial français intervenues entre 1962 et 1980.
Romain Dostes