Albums / Mali Imidiwan : Companions de Tinariwen Independiente / Emma Un 3ème album séduisant du groupe touareg Tinariwen entre tradition et modernité.
Ce qu'il y a de bien avec le progrès technique, c'est qu'avec les amplificateurs portatifs munis de batteries on peut aujourd'hui jouer de la guitare électrique absolument partout, dans les couloirs du métro parisien jusque dans les déserts les plus lointains. C'est justement ce qui se passe chez les touaregs qui, en adoptant guitares et amplis, ont mâtiné leurs musiques traditionnelles de sonorités plus contemporaines pour un résultat vraiment séduisant. Cette démarche n’est pas que folklorique, ni le produit dérivé de la mondialisation. Elle naît dans des conditions économiques et sociales bien particulières. Tout débute en 1963 au Mali, lors de la répression de la rébellion touareg qui chassa des populations vers l'Algérie. Cet exode s'accentua dix ans plus tard avec les sécheresses successives qui ont entraînées les famines de 1973-74 et de 1984-1985. Ce qui les attendait était une forme de sédentarisation avec son cortège de petits boulots et de chômage. De touaregs, ils étaient devenus ishoumar (un ashamour, des ishoumar… des chômeurs quoi !). Exil et chômage, un cocktail qui produisit bien souvent dans l'histoire malheurs et révoltes mais aussi des courants artistiques originaux affirmant identité et revendiquant les droits naturels qu'ont les peuples à exister dans des conditions décentes. Tinariwen est né de ce cocktail de misères. En provenance de Tamanrasset, ils sont l'émanation de cette diaspora touareg des années soixante-dix. Tinariwen signifie « les déserts ». C'est le nom donné par le million cinq cent mille touaregs aux territoires traditionnels répartis aujourd’hui sur cinq états (Lybie, Algérie, Niger, Mali, Burkina Faso) et qu’ils parcourent depuis plusieurs siècles. Plus que touareg, ils préfèrent d'ailleurs se désigner autrement, notamment par Imuhagh qui signifie noble et libre. Si le problème Touareg, de son mode de vie nomade dans un monde aux frontières figées, est loin d'être résolu pour des raisons politiques évidentes, il n'en reste pas moins que les revendications existent et qu'une identité originale est mise en avant. Tinariwen s’en fait écho et plonge pour cela dans sa tradition tout en utilisant des sons et des instruments empruntés au blues qui, d’ailleurs, est aussi une musique identitaire d'exil et de souffrance. Imidiwan : Companions est leur troisième disque, l'âge d'une maturité musicale. L'ensemble est équilibré entre morceaux rapides et plus lents et s'écoute facilement. Les guitares se superposent et créent une nappe sonore accompagnée de percussions traditionnelles et mettent en valeur les voix du chanteur et des chœurs. Les sons des guitares sont bien travaillés, les riffs accrocheurs introduisent et relancent les morceaux. Ce disque est un vrai bon moment de musique. Son écoute continue produit une ambiance qui est curieusement à la fois très originale et familière. Difficile de faire un choix parmi les titres. L'album est riche de tonalités et de couleurs différentes. Vous pourriez avoir peut-être un faible pour Assuf Ag Assufpour son ambiance et la subtilité des voix ou pour Lulla– que vous pouvez découvrir avec la vidéo ci-dessous - pour des raisons identiques. Mais si la qualité est vraiment homogène, ce n’est pas un disque linéaire car les bonnes surprises musicales ne manquent pas tout au long des morceaux. Peut-être pourrait-on imaginer des « pleins et des déliés » plus marqués, plus d’amplitude et de variations ? Ce serait sans tenir compte du dernier morceau : un étrange et aérien Ere Tasfata Adounia / Desert Wind qui est ici plus qu’un symbole. Au final, nous avons un mélange de techniques abouties et d’inspirations originales soutenues par une cause vitale à défendre. Imidiwan : Companions est une pépite à conserver dans un monde de productions musicales trop souvent standardisé.
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